« Une vieille dame au fort tempérament, sa femme de ménage Cap-Verdienne et sa voisine dévouée à de bonnes causes partagent le même étage d’un immeuble à Lisbonne. Lorsque la première meurt, les deux autres prennent connaissance d’un épisode de son passé : une histoire d’amour et de crime dans une Afrique de film d’aventures. »
Tabou est un OVNI comme on en a peu vu ces dernières années. C’est un film souvenir et le réalisateur a su utiliser à la perfection tous les outils que le cinéma a mis à sa disposition pour parvenir à ses fins. C’est un film fou, un film en trois temps, à trois vitesses, un éloge de la mémoire, de l’amour et de l’Afrique, un film sur la vieillesse aussi, le temps qui nous rattrape et dans ce film, la forme est mise sur un piédestal, c’est un véritable hommage indirect au cinéma.
Tout de suite, le film assume son coté retro, ce n’est pas tous les jours que sort un film en 4/3 au 21e siècle. Un noir et blanc passé, qui n’est pas sans rappeler celui des débuts du cinéma, pour la première et la dernière partie, qui, ajouté à une somptueuse voix off sur des plans bruités mais sans parole, parvient à nous transmettre à la perfection la chaleur et la moiteur de l’anachronique Afrique coloniale qu’il décrit mais aussi les sentiments de son personnage. Gomes est un maitre conteur, le film est fouillis et plein de trouvailles scénaristiques et de montage, c’est ce qui fait son charme, sa magie. La seconde partie, la partie « réaliste » est centrée sur le personnage de Pilar, une femme bonne et attentionnée tout particulièrement envers sa voisine, la vieille Aurora, bipolaire, convaincue que sa bonne lui fait du Vaudou. Au premier abord, cette partie semble en dessous du magnifique prologue, il n’est pas rare qu’on s’y ennuie et elle peut sembler un prétexte à la dernière partie « paradis ». On comprend toutefois très vite que c’est ce « paradis perdu », cette partie réaliste qui apporte son charme à la dernière, dans laquelle on retrouve Aurora, jeune et belle, vue de manière diamétralement opposée et c’est ainsi que la nostalgie opère, on découvre à travers l’homme qui l’a aimée la face cachée d’Aurora, celle que la vieille dame essaye d’oublier pour ne pas se faire de mal, pour ne pas se rappeler qu’elle a jadis été jeune et aimée.
J’entendais il y a quelques semaines sur arrêt sur image, le réalisateur Florent Emilio Siri parler de son film Nid de Guêpes et dire « ce film aurait pu être sans parole, pas muet, sans paroles » je me suis alors demandé, pourquoi alors ne pas avoir supprimé les paroles ? Pourquoi ne pas supprimer des dialogues si la compréhension, l’intention et la démarche artistique du réalisateur n’en sont pas entachés ? Au contraire, si cela est fait avec talent cela ne peut que rendre le film exceptionnel sans à aucun moment réduire la performance d’acteur. Tabou en est la preuve, le réalisateur a su faire la part des choses en supprimant tous les dialogues de la partie souvenir, mais en accordant un place très importante aux bruits, et en ajoutant une voix off qui ne s’impose pas, dévoile ce qu’il faut, quand il faut. Ainsi, Gomes a pu se permettre d’accorder des plans qui ne correspondent pas au récit de Ventura, l’homme qui nous conte son histoire, et créer un amalgame d’instants purs et beaux, ceux qui ont traversé le temps dans la mémoire de ce vieil homme, ceux qui ont permis que cet amour impossible perdure et qui sont, au fond bien plus importants que la trame. Les acteurs interprètent cela magistralement, on entend pas le son de leur voix mais tout est la, ils sont timides, ils sont drôles, ils ont le trac, ils s’aiment... Tout est fait pour jouer sur les mimiques sans faire un pastiche. Pour finir le travail sur le son on peut opposer la partie centrée sur Pilar, sans musique, rythmée par le lent bruit des pas de ses personnages, calme et tout en retenue, à l’image de son personnage principal, et la partie centrée sur le couple Aurora/Ventura dotée de ringards morceaux pré pop occidentales et de fantastiques musiques Africaines, à l’image de leur amour et du Mozambique, tout en fougue et en joie de vivre...
Tabou est un véritable chef d’œuvre, un meli melo d’inventions, de trouvailles à toutes les étapes de la création cinématographique et un magnifique travail sur le souvenir, le conte, et bien sur, le cinéma.
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