Avec son troisième long-métrage, le franco-sénégalais Alain Gomis poursuit une œuvre étrange et exigeante, qui mélange les genres avec une nette prédilection pour le conte ou la fable. Plus encore qu'avec L'Afrance et Andalucia, le réalisateur opte cette fois clairement pour une sorte de conte philosophique reposant sur une idée de départ déconcertante : Satché qui vit à Dakar doit mourir ce soir. C'est inexorable puisqu'il a été choisi par les dieux et qu'il ne peut donc se soustraire à cette destinée qui le transforme, aux yeux de sa famille, de ses proches et plus généralement de ceux dont il croise le chemin, en être exceptionnel devant recevoir tous les honneurs. Alors que sa famille guette le réveil de son dernier jour, Satché, en compagnie d'un ami, part pour une lente déambulation dans Dakar. A travers son regard tour à tour triste, mélancolique ou débonnaire, il observe et parait mémoriser pour l'éternité (comme une mémoire séculaire et éternelle du monde) des instants fugaces. Avant de regagner au soir son foyer et d'apaiser ses proches, tout en parvenant lui-même à une sorte de sérénité tranquille, Satché aura revu une ancienne conquête, un oncle à qui il demande de laver son corps et participé à une cérémonie officielle hilarante et décalée. En dépit de la gravité tragique du sujet, il se dégage du film un sentiment général de douceur et de bienveillance. Il faut dire que les images en sont magnifiques, le réalisateur filmant au plus près, de manière sensuelle, presque charnelle, son héros. Dans la capitale sénégalaise, grouillante, colorée et bruyante, l'heure n'est pas à l'urgence car, suivant les conseils avisés de son aîné lui annonçant qu'on ne gagne jamais contre le temps, Satché, nonchalant et comme déjà parti, réfugié dans un silence qui renvoie les paroles à leur inutilité, absorbe à satiété ses dernières heures d'homme. Aujourd'hui, parabole philosophique sur le passage du temps et la place des morts, est un film absolument magique et envoûtant, patchwork toujours renouvelé de sensations, et Alain Gomis tutoie le firmament et les étoiles.