Babel, où la preuve formelle que Iñarritu est un maître caméléon. Dans 21 Grams, le cinéaste filmait trois personnages différents dont le destin est mêlé. Il s'attaque ici à bien plus gros, d'où le titre Babel : trois civilisations différentes, trois cultures différentes, et donc trois manières de filmer différentes. On ressent toute la chaleur et l'humanité de la culture mexicaine, toute la difficulté et l'atrocité de la culture marocaine, et tout le confort apparant de la culture japonaise. Comme à l'accoutumée, le cinéaste se charge de filmer son oeuvre dans l'ordre émotionnel et non pas chronologique : ce qui amène le spectateur à ne comprendre une partie des faits que tardivement. Qu'importe ? On se laisse entraîner par des personnages complexes et attachants, tous magnifiquement interprétés, et par des scènes hallucinantes de beautés (notamment dans la partie japonaise, où l'esthétique est l'atout majeur d'Iñarritu) ou d'émotions. La dernière demi-heure est marquante, toute l'intrigue se dévoile, et on a droit donc à un triple climax, principe intéressant car trois fois plus efficace : chaque famille est détruite, on ressent de la compassion pour peu qu'on ait connu leurs problèmes (perte d'un proche, injustice, rejet) et c'est ce qui fait du cinéaste un maître en la matière. Ses situations sont universelles, et pourtant caractérisées dans un personnage, dans une société, et modelées par de grands acteurs de compositions qui peuvent se cacher dans une image de playboy faite pour la célébrité (Brad Pitt). Ici, l'acteur ressort avec des rides, une barbe mal taillée, décoiffé, l'air fatigué, bref, tout ce qu'il y a de plus humain. C'est ce qui nous touche, et Iñarritu l'a parfaitement compris, avec son troisième succès.