En guise d'ouverture, deux phrases. L'une, spécieuse, présente l'œuvre comme une fiction inspirée de faits réels lors même que, fruit du talent fou d'Olivier Dahan, grand cinéaste iconoclaste, les faits réels s'inspirent rétroactivement de la fiction. L'autre consiste en une citation apocryphe, attribuée à Grace Kelly mais d'un style si remarquable qu'elle trahit son véritable auteur, le/la scénariste Arash Amel. Jugez donc : "L'idée que ma vie est un conte de fée relève elle-même du conte de fée."
Actrice oscarisée, muse hitchcockienne, partenaire à l'écran de Clark Gable : la princesse doit tant au septième art. Naturellement, lorsqu'un vieil ami lui tend le script de Marnie, elle saisit l'opportunité de redevenir une star. Elle s'obstine jusqu'à ce que, à la faveur d'une crise internationale, elle se rende compte de sa terrible erreur : le plus beau rôle de sa vie, aucun réalisateur ne le lui offrira. François Ozon se rabat alors sur Catherine Deneuve, autre blonde célèbre mais un peu... ridée. Le plus beau rôle de la vie surmédiatisée de Grace Kelly ? Potiche crétinissime de Monaco, princesse des cruches et des croupiers.
À moins qu'elle ne tire les ficelles... L'histoire révisée par Olivier Dahan de la crise franco-monégasque de 1962 -le monde a tremblé !- porte à croire, en effet, que derrière la potiche se cache le maître du jeu. Pour sauver son paradis (fiscal) des méchants Français, sales fachos et sales cocos, Grace Kelly ne dispose que d'une arme, habilement dissimulée dans son gros chignon : un second cerveau. Il lui permet notamment de retenir toute l'histoire de l'Europe, révisée par Olivier Dahan, et ce en moins de temps qu'il n'en faut à un bus de Chinois pour la visiter, du Mont Saint-Michel au Bolchoï (1). Jugez vous-mêmes : "Louis [croix-bâton-V] failed to take Monaco, Napoleon failed to take Monaco, de Gaulle will fail to take Monaco."
Et de Gaulle, Potiche le mystifie. Quel est le point faible de ce président autoritaire qui sort tout juste de la guerre d'Algérie ? Simple comme bonjour, le bal et le discours gnan-gnan de Miss Rocher. En substance (scène affreusement longue), elle lui explique que l'amour ne triomphera pas si des chars ruinent ses beaux parterres de fleurs. Ni une ni deux, Rainier III parvient à négocier, Khrouchtchev renonce à envoyer ses cargos vers Cuba et, par mesure de précaution, Kennedy et lui décident de mettre en place le téléphone rose, système monégasque de réglement pacifique des différends internationaux (2).
Les rides, Nicole Kidman ne connaît pas, et jouer la princesse des cruches lui demande peu d'efforts. En revanche, chaque fois qu'elle simule une émotion, exercice extra et intradiégétique puisque son personnage s'y prête, elle trime : eh, pas pratique le lifting ! Le français, passe que Nicole Kidman ne connaisse pas non plus. En revanche, la quasi-totalité des dialogues, en plus de sonner ridicules parce qu'écrits en anglais, se révèlent pernicieux : les quelques acteurs nationaux se ridiculisent à cause de leur accent, parfois forcé.
Les cadrages, la photographie, le casting dans son ensemble, tout ici tend vers moins l'infini. Deux choix désastreux : Tim Roth (Rainier III) et André Penvern (Charles de Gaulle) ; un très bon : Roger Ashton-Griffiths (Alfred Hitchcock). Moins l'infini, quoi.
1) On parle évidemment d'Europe continentale.
(2) Souvenez-vous : Stéphanie, la Syrie...