Agnès Jaoui aime prendre son temps, 4 ans (en moyenne) sépare ses réalisations. Quatre ans à peaufiner un scénario, construire un univers, choisir un casting. Quatre ans pour faire ce que le cinéma français ne sait plus vraiment faire, nous raconter une histoire, porter un regard, critique, cynique parfois, transmettre des émotions.
Au bout du conte, joli titre au sens figuré comme à chaque fois, remplie parfaitement ce rôle.
Le duo de scénaristes, Jaoui-Bacri retrouve cette verve et la dynamique qui avait fait leur succès, ce regard social et humain si juste, porté sur les comportements, émotions et réactions de leurs personnages. Personnages symboles, reflets du spectateur qui pourra se retrouver dans des traits de caractère vu la teneur chorale du film.
Si Au bout du conte parle évidemment d’amour, le film badine également du côté des croyances sous plusieurs de ses formes, superstition, rumeur, mensonge. Une fois devant nos yeux le résultat semble évident et linéaire mais un travail appuyé en amont est nécessaire afin de mettre en forme un tel kaléidoscope de rencontres et de chemins croisés. Bien sûr, l’humour propre aux deux co-scénaristes est présent et marque de son empreinte le film d’un bout à l’autre.
Et puisque tout est dans le titre, une autre magie opère forcément, celle de la métaphore du conte où la majeure partie des personnages trouvent écho dans les livres d’enfants (marraine, prince charmant, grand méchant loup).
Si la force principale du film est sa narration, la mise en scène d’Agnès Jaoui a pris une certaine ampleur. Tout du moins son film s’orne un peu plus d’effets de mise en scène. Le sujet, bien sûr, est propice à cela. Régulièrement baigné d’un onirisme séduisant le film ose des envolés rêveuses, graphiques, presque fantastiques qui rappelleraient même lors d’une certaine séquence L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais (séquence du bal). Toujours aussi simple et maîtrisée la réalisation d’Agnès Jaoui séduit dans ce savoir faire du découpage (de plans, montage) afin de donner l’espace nécessaire à ses comédiens tout en leur imposant une direction très juste.
Ensemble d’un casting donc où tout le monde trouve sa place, bien sûr, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri en tête, un Benjamin Biolay dans un rôle savoureux et parfait de ton, quand le rôle du prince charmant reste de façon surprenante bien appliqué par Arthur Dupont et ce sans contre-mesure. On restera plus pondéré quant à la composition d’Agathe Bonitzer. Les seconds rôles, Dominique Valadié, Didier Sandre, Valérie Crouzet, entres autres, remplissent savoureusement leur rôle et s’inscrivent parfaitement dans l’ « univers » d’Agnès Jaoui.
Derrière tous ces personnages un autre plus discret semble faire partie inhérente de ce conte, la musique qui tout au long du film parsème le film de notes et d’intentions subtiles.
La réalisatrice a trouvé dans le conte la forme même de son récit, dans son déroulement comme dans la démystification du mythe du prince charmant. La recette d’une comédie subtile, qui sans en être ouvertement une, donne des bouffées d’air frais autant au spectateur, qu’à un cinéma français emprunt de gros sabots, cloné, qui cherche à libérer les zygomatiques du public. Si le film n’est pas parfait, un peu étiré, il est en tous points ce qu’on aimerait voir plus souvent sur les écrans et estampillés made in France. Comme quoi on peut faire du cinéma populaire, juste, intelligent, drôle et subtil sans tomber dans la facilité clownesque de ces dernières années. Encore une réussite.