Avec Au bout du conte, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri s'éloignent un peu du réalisme qu'on leur connait, pour s'atteler à un projet un peu plus original qu'auparavant : bousculer les codes de leur cinéma. Le film porte bien son nom, puisqu'il est une sorte de conte du Prince Charmant à la sauce contemporaine, assaisonné d'ironie et de désenchantement.
Comme souvent chez les réalisateurs, ce film est une poupée russe géante. Les personnages se croisent, se rencontrent, se loupent, se retrouvent... C'est un film sur les destins imbriqués. Un film sur les différences, les malentendus, les illusions.
C'est l'histoire de Sandro (Arthur Dupont) et Laura (Agathe Bonitzer), deux étudiants qui se rencontrent et tombent amoureux. À moins que ce ne soit l'histoire de Pierre (Jean-Pierre Bacri) et Marianne (Agnès Jaoui), qui partagent leurs angoisses au volant d'une voiture qu'il lui apprend à conduire. C'est peut-être aussi l'histoire de Clémence (Nina Meurisse) et Maxime (Benjamin Biolay), qui gravitent autour de la romance de Sandro et Laura.
Voilà un film bien difficile à résumer, tant il est dense et peut se lire à plusieurs échelles.
Et cette difficulté à résumer le film est, à mon avis, un véritable choix de la part des réalisateurs. Ce film est enrobé d'un contexte narratif original et d'une esthétique surprenante : ne soyez pas surpris de voir des aquarelles se fondre dans le décor, des oursons en images de synthèse laisser la place à des ours en peluche, ou des poissons géants nager au milieu du salon. Cette esthétique risque d'en dérouter plus d'un. J'ai eu énormément de mal à rentrer dans le film au départ, forte de l'impression que les réalisateurs voulaient juste « jouer avec les codes pour jouer avec les codes », « déstabiliser le spectateur pour ré-inventer leur cinéma ». Puis je me suis dit que finalement, ce choix esthétique déroutant était peut-être une façon ludique et un poil provocatrice de montrer au spectateur qu'il ne faut pas chercher à voir en ce film une imitation du réel, mais plutôt une interprétation du réel.
Il ne faut pas, je pense, s'attarder sur la forme du film, sur « l'histoire pour l'histoire » : les différentes histoires qui y sont contées ne sont plus ou moins qu'un prétexte. Je pense qu'il s'agit d'un véritable « film à message », d'un film métaphorique. Il y a de fortes chances qu'il plaise moins que les autres films du duo, car il est moins narratif que pédagogique. Le but, il me semble, c'est plus la façon dont le spectateur va recevoir le film que l'histoire qui y est contée.
Au bout du conte est une sorte de message subliminal géant, l'objet du film c'est, en fait, peut-être plus le sens que les faits, c'est le fond plutôt que la forme. L'objectif, c'est de nous mettre tous face à nous-même. Ces personnages, tous pleins de zones d'ombre, ne sont-ils pas un peu des extrapolations qui permettent à Jaoui et Bacri de donner leur vision de la condition humaine ?
Bacri, comme toujours, joue à merveille le rôle du grincheux aux racines populaires muré dans son silence. Ici, il interprète un patron d'auto-école obsédé en secret par la date de sa mort qui, selon les dires d'une voyante, arrive à grands pas... Jaoui, à travers cette « comédienne » décalée qui se retrouve confrontée aux réalités suite à une rupture, campe à nouveau un personnage auquel on s'attache facilement.
Finalement, une fois n'est pas coutume, lui incarne un « gentil ronchon », et elle, une femme représentative d'une certaine modernité.
En fait, il est drôle de faire l'analogie avec leurs films précédents et de voir que certains schémas reviennent irrémédiablement. Comme si les réalisateurs avaient des types de personnage fétiches qu'ils prenaient plaisir à jouer et rejouer, en effectuant des petites variations pour que le tout soit bien accepté.
Ce côté systématique qu'a leur cinéma peut énerver, certains trouvent peut-être ce cinéma intellectuel ou moraliste, mais leurs films, et Au bout du conte n'y échappe pas, ont quelque chose de tellement cynique et de tellement juste à la fois que finalement, Jaoui et Bacri restent en dehors d'un cinéma prétentieux et pédant. Pour moi ce ne sont pas des intellos nombrilistes mais de véritables investigateurs sociaux, des réalisateurs très malins qui savent taper là où ça fait mal et mettre le spectateur face à ses propres troubles et contradictions. C'est aussi pour ça que certains passages du film nous font presque osciller entre le rire et la détresse, tant on se reconnaît dans les situations sordides de ces protagonistes paumés.
Oui, ce film est encore l'occasion pour le spectateur de se regarder dans un miroir teinté. Ça peut faire rire, faire peur, comme ça peut déstabiliser. Dans tous les cas, il est très peu probable que ça laisse indifférent.
Comme d'accoutumée, la fin prend des allures de petite morale : ceux qui sont gagnants sont ceux qui ont appris de leurs erreurs, et peut-être qu'en fin de compte, « les derniers seront les premiers ».