Le dernier long métrage de Michel Hazanavicius, The Search, inspiré du film éponyme de Fred Zinnemann, transpose l’intrigue de l’original, l’adoption d’un jeune garçon tchèque par un soldat américain à l’issue de la défaite allemande en 1946, par celle d’un garçon tchétchène par une représentante française du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme lors de la seconde guerre de Tchétchénie en 1999. Évitant tout pathos excessif, Hazanavicius livre une vision protéiforme du conflit faisant le point sur les multiples traumatismes qui en découle.
Les destins croisés de quatre protagonistes de la seconde guerre de Tchétchénie sont le cœur de l’intrigue de The Search. On suit un jeune soldat russe, Kolia (Maksim Emelyanov) enrôlé de force, intimidé par un commissaire de police lui promettant la prison pour détention de marijuana, un enfant tchétchène, Hadji (Abdul Khalim Mamutsiev) dont les parents sont massacrés par l’armée russe et la sœur violée, une française,Carole (Bérénice Bejo) membre de la commission des Droits de l’Homme qui le recueille et enfin la sœur du petit, Raïssa (Zukhra Duishvili) qui parcoure la Tchétchénie à feu et à sang pour le retrouver.
Le film s’ouvre sur une insoutenable vidéo filmé par un soldat russe anonyme mettant en scène l’interrogatoire de civils, accusés d’être des terroristes, et leur exécution sommaire. Le plus choquant étant certainement les commentaires abscons et dénués de compassion du vidéaste amateur. Ainsi que le sadisme auquel s’adonne les soldats, faisant durer le plaisir d’un interrogatoire humiliant dont ils connaissent déjà la funeste issue. Le ton du film est donné. Sans fard, mais avec suffisamment de distance, Hazanavicius va décortiquer la machine de guerre et son fonctionnement. La meilleur idée de The Search est certainement de suivre l’évolution d’un jeune russe jeté dans la guerre et la discipline martial à son corps défendant. Kolia est un jeune russe parmi d’autre jusqu’au jour où, à Perm, il est arrêté par la maréchaussée pour possession de marijuana. Sous le regard bienveillant et paternaliste de Boris Eltsine, fossoyeur de l’Union Soviétique, Kolia est menacé d’un an de prison par le commissaire lui faisant face. Ce dernier lui offre de l’amnistier s’il accepte de s’engager dans l’armée. Kolia ne se doute pas que la prison pourrait être préférable à un enrôlement alors il accepte. Le voilà dans un camp d’entraînement de l’armée russe. C’est le règne de la bêtise et de l’ignorance, de l’humiliation. C’est encore sous le regard d’Eltsine qu’il est passait à tabac par son colonel. Pour te donner l’envie d’aller mourir au front, l’armée va te briser, ne laissant de toi que l’ombre d’un fusil et suffisamment de haine pour que tu veuilles te venger sur l’ennemi, fut-il civil et désarmé. Par la mise en scène, filmant de manière lointaine mais oppressante, l’arrivée des cadavres de plus en plus nombreux, et Kolia chargé de les mettre en boite, commençant à leur parler, Hazanavicius dépeint cette lente déshumanisation du soldat.
En parallèle, nous suivons Hadji, traumatisé par la mort de ses parents et la disparition de sa sœur, mutique, errant sans vraiment savoir où aller. Obligé d’abandonner son petit frère, incapable de s’en occuper, au pied d’une maison, le jeune orphelin a la chance de tomber sur des civils tchétchènes fuyant les zones de combats et espérant rejoindre un camps de réfugiés. Quasiment muet durant toute la durée du film, Abdul Khalim Mamutsiev est saisissant de vérité, poignant par ses expressions de détresse et une vague incompréhension au fond des yeux. Recueilli un premier temps par une ONG dirigée par Helen (Annette Bening), l’enfant s’enfuit car l’ambiance des locaux gardés par des soldats reste anxiogènes pour l’enfant. Devenant enfant des rues, il hésite à voler sur les étals du marchés et préfère faire les poubelles. Même cette solution ne le sauve pas du racket des enfants plus grands que lui, ici depuis plus longtemps, ayant perdu tout ce qu’il restait de leur innocence. Car c’est cela la vérité de toute guerre. Et la guerre impérialiste orchestrée par Eltsine et Poutine pour prouver au monde que la Russie capitaliste n’a pas perdu en puissance militaire n’a que faire des vies brisées, des enfants humiliés, de la Convention de Genève. La propagande occidentale nous présente encore aujourd’hui, un héros ayant défié les chars communistes, un boute-en-train facétieux rigolant à tue-tête avec Clinton. C’est ce qu’ils voudraient que l’on retienne. Nous n’oublierons pas les massacres de Tchétchénie qui ternisse à jamais sa mémoire.
C’est dans cette optique, celle de ne pas ternir l’image d’une idole du monde libre que l’Union Européenne et les États-Unis ont laissé faire. Les multiples avertissements des ONG sont restés pour la plupart lettre morte. Pire, la communauté internationale reconnaissait là, une lutte contre le terrorisme international. Il n’y avait pas encore eu l’attentat des World Trade Center, mais déjà les prétextes fallacieux étaient les mêmes. À l’issue de la guerre, la population de la Tchétchénie était passée de 1,2 millions à 400 milles habitants. Un bilan incroyable du à l’exil et à l’exécution massive des civils. Il n’est pas question ici de lutte contre le terrorisme mais bel et bien d’épuration ethnique. Au cœur de ce mensonge et de la tourmente, Carole est de plus en plus désabusé, se sentant de plus en plus inutile, dépassée par les préoccupations politiques de ses interlocuteurs, peu soucieux du facteur humain. Sa rencontre avec Hadji va redonner du sens à son engagement. The Search n’est pas qu’une dénonciation d’une guerre inique, c’est aussi le témoignage que l’espoir peut surgir des pires moments de notre histoire. La relation entre Carole et Hadji va donner du sens et du corps à ces dossiers abstraits qu’elle présente partout dans l’espoir de faire réagir la communauté internationale. Pour Carole, les premiers contacts sont difficiles. Hazanavicius met en lumière que même sur place, il est difficile pour les membres des ONG de saisir l’entièreté de l’horreur qui saisit les populations civiles. Carole reçoit des témoignages mais ne les a pas vécus dans sa chair et son âme. C’est ainsi qu’elle est parfois brusque ou maladroite avec Hadji.
Quinze après la guerre, on ne parle guère plus de la Tchétchénie que l’on en parlait à l’époque. The Search est une œuvre sensible et touchante à travers l’amitié d’Hadji et Carole, c’est surtout un nécessaire rappel la responsabilité occidentale qui ne condamna les exactions russes que du coin des lèvres. The Search est une œuvre équilibrée et intelligente au sens où elle distingue les peuples et l’instrumentalisation de leurs aspirations. D’autant plus qu’à travers le regard du jeune soldat russe, The Search est un véritable manifeste sur la fabrique de l’horreur.
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