Quasiment deux décennies se sont écoulées depuis le premier opus de la lucrative franchise Mission : Impossible et pourtant, seulement cinq long-métrages ont vu le jour. Un temps de gestation important entre chaque épisode, du à la volonté de Tom Cruise d'insérer une tonalité différente par le biais du réalisateur qui lui cédera ses faveurs. Retour sur un film qui pérennise un succès qui jamais ne s'étiole, mais qui commence à arborer quelques limites dans sa formule, aussi efficace et brillante soit-elle...
La succession de Brian de Palma et de John Woo au poste de metteur en scène orientait quelque chose d'audacieux pour les épisodes à venir. M:I 3 ouvrait les portes du grand écran à un réalisateur et scénariste chevronné de la petite lucarne (J.J. Abrams) tandis que M:I Protocole Fantôme confirmait qu'un cador de l'animation comme Brad Bird convenait tout aussi parfaitement sur un plateau grandeur nature. Deux artistes talentueux dans leur registre respectif donc et pourtant, sans aucune expérience dans le domaine pur et dur du 7ème art. Une double initiative originale, attestant un choix intéressant de se démarquer pleinement après les ténors qui les ont précédés.
S'il est peu étonnant de voir Christopher Mc Quarrie récupérer le poste de chef d'orchestre de la franchise, on regrette, à première vue en tout cas, ce choix forcément moins risqué, délaissant la teneur peu commune que la franchise M:I semblait alors prendre jusqu'ici. Entamant ici sa troisième collaboration successive et fructueuse avec le Top Gun du box-office derrière Walkyrie et Jack Reacher, le maestro part donc composer cette cinquième partition les coudées franches à son pupitre. Mais, succédant au meilleur opus sacrément bien exécuté par Brad Bird avec son Protocole Fantôme, par ailleurs champion du box-office de la série jusqu'alors, Mc Quarrie se doit alors de relever ici un challenge de taille. Une mission (presque) impossible ?
Et pourtant, le metteur en scène de Way of the Gun se défend. Et se défend très bien même. Succédant à un film ultra-spectaculaire et plein de fun, il va répliquer avec un argument de poids, trop souvent absent des blockbusters en général : la crédibilité, ici maître mot de ce M:I Rogue Nation. Une crédibilité qui définit ici le fait que l'action, aussi "hénaurme" soit-elle, sera attachée à lui prodiguer le plus de vraisemblance possible, pour un blockbuster de ce type s'entend. S'inscrivant dans une continuité où Ethan Hunt dure et perdure après des exploits chaque fois plus "impossible" depuis quatre films, ici l'ampleur de l'action est à la démesure de ce que le super espion subit. Souvent en grande difficulté, ne s'en sortant souvent que grâce à l'aide d'autrui, ou se retrouvant dans un état second en pleine poursuite, M:I Rogue Nation cherche à préserver une véracité certaine sur les épreuves qu'endure son héros pendant ou après chaque situation. Un procédé qui n'est pas nouveau certes mais qui ne cesse de prendre de l'importance depuis deux épisodes.
Car si la quasi invincibilité du bonhomme lors du deuxième film agaçait, elle ne cesse pourtant d'être mise à mal depuis la participation de J.J. Abrams à l'entreprise. Dès lors, la témérité du personnage montre de plus en plus de failles, de faiblesses et de folie aussi, repoussant sans cesse le concept du terme impossible. Mais ce n'est vraiment que dans ce M:I Rogue Nation que le spectateur comprend tangiblement que Hunt se voit de plus en plus en difficulté, voire dépassé par les épreuves qui se dresse devant lui. Sans s'appuyer non plus sur un réalisme viscéral pour le spectateur, Mc Quarrie tend à s'en rapprocher au maximum tout en offrant du divertissement de qualité. L'action abrupte, sans être foncièrement originale, rappelle que le réal' sait filmer l'action avec énergie sans pour autant la styliser. A l'exception d'un saut de l'ange réduit à sa plus simple expression (gimmick obligatoire dans la franchise de voir Hunt les quatre fers en l'air), le reste du long-métrage confirme cette volonté. Mixant tôles et muscles froissés, combats et situations rentre-dedans, œuvrant le passage en force, M:I Rogue Nation comporte une énergie efficace et radicale dans son action. Des "maux" nécessaires qui servent l'intrigue avec toujours ce même souci de crédibilité mise en exergue. Plus subtilement, M:I Rogue Nation sait aussi faire preuve de retenue. Le temps d'une séquence suffocante en apnée, ou d'une magnifique scène à l'opéra (hommage à peine voilé à L'Homme qui en savait trop de Hitchcock), Mc Quarrie en impose. Plus-value supplémentaire, le scénariste de Usuals Suspects sait aussi désamorcer la dangerosité des situations avec beaucoup d'humour, à commencer par l'autoparodie de son propre héros.
Car le nabab d'Hollywood sait dorénavant se moquer de lui-même. Trop petit pour se libérer ou pour affronter quelqu'un, gadin monumental pour rentrer dans une voiture, visage crispé de circonstance au vu du challenge mortel qui l'attend... ne sont quelques exemples récurrents que Rogue Nation comporte et qui font mouche. Le temps semble désormais lointain où l’ego déplacé de l'acteur interdisait encore à Jean Réno de se mettre à côté de lui dû à leur différence de taille. Tom Cruise accepte désormais que l'on puisse rire de lui et de ses péripéties tout en pensant à l'intérêt national. A cela, les punchlines de circonstances favorisent le terrain avec Simon Pegg à l'entreprise, ressort comique bienveillant et désormais totalement indispensable à la franchise. Construisant un autre processus à l'encontre d'Ethan Hunt, Mc Quarrie s'amuse avec les difficultés de son héros, tout en l'associant à un très bon scénario de son cru.
Construisant le récit autour d'une société secrète appelé Le Syndicat, M:I Rogue Nation articule des fondamentaux similaires à celle d'un bon vieux S.P.E.C.T.R.E. James Bondien. Désavoué une fois de plus, Hunt n'a d'autres choix que de prouver la véracité de l'existence de cette organisation criminelle afin de prouver qu'il n'a pas sombré dans la paranoïa totale. Si l'idée n'a rien d'originale en soit, elle demeure toutefois importante en introduisant une Némésis au sein de l'univers de Mission : Impossible. Ambitieux, le film façonne les bases d'une mythologie qui permet de réinventer le combat (futur ?) d'Ethan Hunt, tout en imposant clairement une volonté rafraîchissante : celui d'avoir une mémoire.
A l'instar de la saga de The Fast and the Furious, qui partait sur une jolie nuisance épisodique sans consistance, la franchise M:I concentre adroitement une partie de son univers à travers M:I Rogue Nation, en lui raccrochant des éléments des précédents opus. Si l'épisode de Brad Bird lui emboîtait le pas en liant celui de M:I 3 de manière assez futée, c'est ici encore plus concret. Relatant les événements dans Protocole Fantôme à plusieurs reprises pour y nourrir son récit, tout en récupérant une bonne partie du cast précédent depuis le film de J.J. Abrams, M:I Rogue Nation cherche clairement à tisser une narration plus ambitieuse. Plus spécifiquement, Ethan Hunt atteint ici le statut de légende totale par ses pairs. Rien de pompeux dans la formule. Elle sert surtout à nous rappeler combien ses nombreux exploits qu'il a sans cesse accomplis depuis sa toute première aventure ont désormais du poids, de l'existence concrète au sein de toute la franchise. Et le final du film ne déroge pas à la règle, tentant une approche plus subtile et surtout plus logique dans son issue que la bête et simple élimination de son méchant. Il capitalise ainsi à offrir une ouverture et un support nécessaire pour une sixième aventure, d'ailleurs déjà en chantier.
Dans sa construction, on remarque que Rogue Nation s'articule ouvertement sur un "faux" film d'équipe. Hunt étant acoquiné avec chacun de ses comparses pour faire fonctionner une scène, le film délivre plus un assemblage de séquences au travers d'un binôme, voire d'un trio mais ne réunissant quasiment jamais en son sein l'ensemble du cast. Les rares moments de regroupement de la team ne provoqueront d'ailleurs au mieux qu'une discussion globale, au pire une séparation. Ce qui n'empêche pas le film de fonctionner très bien de toute manière. Mais on regrette juste que la franchise, qui avait précédemment joué la carte du groupe en vase clos depuis Protocole Fantôme, permettait de créer pour la première fois une belle dynamique à tous ses personnages. Redoutant peut-être de voir M:I Rogue Nation se répéter sur un schéma trop archétypale, Mc Quarrie déconstruit sans arrêt son pool d'espions tout en le rapiéçant au fur et à mesure de la progression du récit, pour finir par le regrouper entièrement dans son finish. Résultat, une aubaine ratée pour certains protagonistes qui sont restés sur un statu quo quasi total au lieu de participer pleinement à l'intrigue. Tandis que d'autres, largement favorisés à l'écriture il faut le reconnaître, ont bénéficié d'un bel upgrade supplémentaire au sein de la franchise.
Pour preuve, M:I Rogue Nation implique encore d'avantage le trublion de service, Benji (Simon Pegg), qui a définitivement dépassé son statut de faire-valoir sur sa troisième participation. Sa connivence avec Hunt fonctionne merveilleusement bien à l'écran, qu'elle soit à distance ou à proximité. Elle monte même d'un cran au travers des liens d'amitié que les deux hommes partagent réciproquement, s'épaulant ou se sauvant l'un et l'autre. A l'inverse par contre, Luther (Ving Rhames) ne bouge pas d'un iota depuis 5 épisodes, devenant presque un gimmick de la franchise à lui tout seul. L'individu, constamment dans l'ombre d'Ethan, ne sert définitivement que de piqûre de rappel à l'univers de M:I une fois encore. On ne s'étonnerait guère d'ailleurs à le voir mourir pour prétexter une intrigue future. Plus dommageable par contre est le traitement de Jeremy Renner. Décidément abonné aux rôles de seconds couteaux depuis quelques temps, on aurait souhaité voir l'acteur grimper d'un échelon supplémentaire en terme d'importance dans ce M:I Rogue nation. Peine perdue, le bureaucrate qu'il était dans Protocole Fantôme reprend ici sa place, l'action en moins, la joute verbale en plus. Maigre consolation. Certainement la "faute" à la vraie révélation du film, en la personne de la troublante Faust. Magnifiquement interprété par Rebecca Ferguson, quasi inconnue jusqu'à alors, elle nous présente ici une femme forte, jamais potiche et à multiple facettes. L'espionne illumine le film avec présence, glamour et un style virevoltant dans l'action. Accaparant une scène de combat majeure pour elle seule et établissant un rouage vital du récit, elle n'est pas loin de voler la vedette à Tom Cruise himself ! Si M:I Rogue Nation œuvre malgré tout à un spectacle réussi, on peut tout de même soulever que les limites de son concept commencent à être atteintes.
Car Tom Cruise, l'air de rien, est un sacré roublard : sous couvert d'effets spectaculaires et d'un scénario généralement pas trop mal travaillé, la franchise M:I décalque en fait très souvent son concept d'un opus à l'autre. Sur le quintet d'aventures mis à sa disposition, Ethan Hunt sera en effet désavoué pas moins de 4 fois ! C'est beaucoup. Même si le deuxième épisode fait exception, on constate que si Hunt n'est pas concerné, il doit poursuivre à son tour un agent, lui aussi, désavoué. Constat donc un brin accablant sur la franchise : rien ne change vraiment en fin de compte. Chaque film est acté de manière différente bien sûr, mais concentre invariablement toutes ses forces conflictuelles sur les épaules de son héros, considéré au mieux, comme étant incontrôlable, au pire comme un traître à sa nation. C'est peut-être aussi pour cela que, sous couvert d'angles malins et de tonalités changeantes, les M:I, sans être permutables, effectuent toujours un excellent travail de divertissement. Masquant de manière assez smart l'éternelle idée directrice qu'Ethan Hunt reste toujours et encore l'homme à abattre par ses propres pairs, M:I Rogue Nation ne déroge pas lui non plus à cette règle.
Si son équipe tout entière était désavoué dans Protocole Fantôme, elle reste tout de même suspectée d'aider Ethan Hunt, une fois de plus en cavale. Idem pour le personnage de Faust, désavouée ici elle aussi mais pour la bonne cause des services secrets britanniques... reprenant un schéma identique à celui de Hunt dans le film de Brad Bird, qui lui le faisait mais pour cacher sa femme ! Bref, d'un point de vue scénaristique, Rogue Nation ne prend pas en traître le spectateur, nous sommes habitués à la recette. Le problème, c'est que cela commence franchement à se voir...
Sans compter que si Ethan Hunt est l'espion par excellence, une légende comme le film nous invite à le rappeler, alors il est aussi grand temps d'en faire un véritable atout, et non plus le responsable de tous les conflits à quasi chaque film passé. Considéré tel un judas moderne à quatre reprises sur un pentacle filmique où, tel un messie rédempteur, il sauvera à chaque fois le monde, il est désormais nécessaire que sa légitimité aux yeux de l'état américain soit cette fois acquise pour de bon. Le climax de Rogue Nation lorgnant sur cette éventualité, il est à espérer qu'on retrouve l'individu dans une aventure dans laquelle il pourrait enfin agir librement, sans avoir une fois de plus un pistolet sur la tempe. D'ici quelques films, on imaginerait bien le fringant quinqua Cruise s'arrêter de courir définitivement pour finir comme chef de l'I.M.F. Et qui sait, peut-être pourrira-t-il à son tour un ou deux agents dans la foulée... ?
Alors mission accomplie ? Globalement oui, et au vu de la piètre qualité des grosses machines de l'année passée, l'énième tentative de Tom Cruise d'en mettre plein les mirettes à travers le globe, nous emmène vers quelque chose de salvateur : faire du divertissement de qualité avec des personnages correctement travaillés n'est PAS une mission impossible. Même s'il est un poil en deçà de M:I Protocole Fantôme, Christopher Mc Quarrie assure très bien la relève dans une action et un récit fichtrement bien calibré, enrichissant l'univers de la franchise avec une franche pointe d'autodérision. Le capital sympathie est là, le temps passe sans ennui et, en cette période de disette où trop de pognon nuit définitivement à la création, preuve en est qu'avec ce M:I Rogue Nation, rien n'est perdu ! Le blockbuster de l'été, sans aucun doute ! Well done agent Hunt!