La terreur que fait naître en nous Sinister provient de la mise en abyme permanente du spectacle regardé, sans cesse ramené à la pulsion scopique du protagoniste principal et ouvrant naturellement sur la nôtre. Car l’horreur, dans le film, est alimentée par l’œil de cet auteur déchu qui tente, en visionnant des bobines super 8 mettant en scène l’exécution de familles, de recouvrer l’inspiration de son premier succès, quitte à demander de l’aide au Mal qui ne se montre que dans la répétition, que dans l’insistance d’un voyeurisme articulant effroi et curiosité.
La montée en sadisme des projections résulte d’un désir toujours plus difficile à satisfaire ; la fiction se répercute d’ailleurs sur le réel par le biais des enfants qui souffrent de l’abandon symbolique d’un père qui préfère consacrer son temps aux enfants des autres afin de les exhumer. Ce sauvetage d’une mémoire condamnée à l’oubli mute en destruction d’un présent placé sous le signe de l’absence : Ellison reproduit sur les siens le schéma qu’il étudie. Le réalisateur veille à l’isoler par une vie nocturne marquée par d’incessantes déambulations dans la maison dont les murs se remplissent de projections, matérialisées ensuite par les dessins de sa fille. Il interroge notre rapport à l’image, ainsi que notre fascination pour les représentations de la violence qui toujours repoussent les limites du montrable ; son long métrage incarne la transmission du Mal par le partage d’images brutes sans médiation – et l’absence de médiation intellectuelle conduit le spectateur à s’improviser enquêteur et à remonter la piste du Mal comme autant de rituels maléfiques.
La brillante partition musicale de Christopher Young, maître de l’horreur, joue avec le son des bobines saisies, placées, déplacées, réparées qu’il remixe habilement de sorte à souffler une atmosphère pleine de malaise. En dépit de sursauts faciles, signature de la maison de production Blumhouse, Scott Derrickson compose une œuvre intelligente et déstabilisante qui ne ressemble à aucune autre ; il bénéficie de l’interprétation remarquable d’Ethan Hawke. Sinister, date majeure dans le cinéma d’horreur.