Au moins aussi étonnant que Margin Call, All is Lost voit J.C. Chandor réitérer son approche épurée de scénarios pour lesquels on est habitués à des traitements nettement plus appuyés. Pour faire ressentir la peur face à un environnement souverain, pas de l'habituelle frénésie visuelle de bien des survivals qui mettent en scène un héros aux portes de la mort et se démenant pour y échapper (127 heures - en même temps c'était du Danny Boyle, Into the Wild...). Tout passe par le regard de Redford et les nuances qui s'y amoncellent petit à petit. La caméra, très organique, préfère de loin manifester une certaine maladresse empressée, proche de celle du naufragé qui tente tant bien que mal de faire perdurer l'aventure. De même, pas de voix off, procédé auquel pas mal de réalisateurs auraient choisi de raccrocher leur public. Chandor fait trop confiance au sien pour prendre le risque de casser ainsi la pureté, amorale mais totale, d'un récit que ce cinéma très essentiel, sans le moindre superflu, sait si bien prendre à bras le corps. Et c'est là qu'All is Lost prend vraiment son sens, dans la fusion entre la pure aventure humaine (dans un sens bien évidemment pas romanesque, cette fiction devient pourtant une épopée qui mérite ce titre, par tout ce qu'elle porte en elle-même de symboles et de jusqu'au boutisme vital) et une contemplation qui en élargit le cadre. C'est ainsi que pour finir, All is lost prend et porte en lui-même une vraie ampleur métaphorique, d'autant plus puissante qu'il ne la met à aucun moment en avant et la laisse s'exprimer librement à travers ses images, au contraire du symbolisme forcé de L'Odyssée de Pi, que j'avais réellement apprécié mais auquel je ne peux qu'associer un degré de simplisme que Chandor a parfaitement pris soin d'éviter. Conscient des sacrifices que réclame une telle entreprise (mise en scène jamais trop voyante, grande confiance en son acteur, degré de mystère qui peut finir par vider le film, notamment par l'absence de dialogues...), le réalisateur ne se laisse pas impressionner et consent à tous, malgré les risques que cela comporte vis à vis du public, et retrouve là un cinéma originel, lavé de l'histoire du septième art et de ce que d'autres ont fait en la matière. On retrouve vraiment cette liberté étonnante, qui rénove le regard, dans le traitement de l'océan, jamais exagérément présenté comme le monstre invincible qu'on en a souvent fait, Léviathan (la référence biblique et donc spirituelle devenait facile) écrasant l'Homme minuscule et sans ressources. C'est sur le danger lui-même que Chandor se concentre, sans lui donner de visage, et il en ressort une force certaine, très facile à recentrer sur l'Homme dont un Robert Redford magistral (d'autant plus qu'on connaît le bonhomme et sa propre intégrité) rend si bien le doute permanent, dont la mer sert ici à étaler l'angoisse et l'incertitude, sans vraiment la figurer positivement, mais plutôt en la faisant ressentir. C'est vraiment ce qu'est le cinéma de J.C. Chandor à mes yeux, un travail qui signifie bien plus en aplanissant les courbes qu'en les mettant en valeur. C'est à partir de cette manie de supprimer ce qui pourrait accaparer ou altérer la pensée, qu'il arrive à trouver cette âme vacillante et incertaine, mais qui trace le chemin vers une portée ici presque mystique. All is Lost est comme l'être humain, il parle de choses qui le dépassent et admet ce truisme. Mais puisque c'est un film qui arrive à faire coexister deux niveaux à tel point qu'il parait souvent n'y en avoir qu'un seul, c'est aussi et surtout une aventure humaine, celle d'un type qui luttera jusqu'au bout, sans rien demander, avec son espoir comme seule bouée de sauvetage. Je regrette simplement certains effets spéciaux qui cassent légèrement l'harmonie d'ensemble, ainsi qu'une certaine lourdeur dans l'accumulation d'épreuves que traverse le marin, qui dépareille vraiment avec un film dans l'ensemble très subtil, en plus d'être une proposition osée qui sait, comme son héros, garder son intégrité de bout en bout. Jusque là, le meilleur film de J.C. Chandor à mes yeux.