Rosetta est à la fois porté par sa volonté de mouvement et par son obsession de la recherche d'ancrage dans la vie réelle où la seule nécessité est la survie. Filmé avec une grande efficacité caméra à l'épaule, Rosetta est d'une grande puissance et d'un rythme effrené digne des meilleurs films d'action. Les frères Dardenne suivent au plus près les courses de l'héroïne comme autant de fuite en avant. Une jeune fille boudinée, mal fagotée, à l'air buté mais volontaire qui n'a qu'une seule envie travailler pour survivre ou mieux exister, être comme les autres. En filmant au corps, les cinéastes réussissent à nous faire vivre avec Rosetta, affronter l'aboulie de sa mère, l'ambivalence de son ami, les injustices sociales du monde du travail. Mais, il n'y a point ici de manichéisme. Olivier Gourmet, une nouvelle fois génial dans un rôle qui lui sied bien, celui du petit patron, n'est pas à priori négatif, il est juste, compatissant mais surtout impuissant. Le monde qui entoure Rosetta n'est composé que de fantôme, d'être à peine réels ou de personnes pusillanimes. Rosetta est le seul personnage à courir pour se changer, subvenir à ses besoins, proactive. Emily Dequenne, la révélation du film est remarquable, elle campe un personnage qui ne cherche pas à s'embellir mais juste survivre socialement et atténuer ses douleurs abdominales (règles douloureuses ou symboliques) comme signaux d'alertes. Gris, froid, terne le film est pourtant passionnant et d'une dureté implacable. C'est ce qui fait sa qualité majeure. La nature se réduit ici à des points d'eau vaseux, de la terre, des branchages en opposition avec des lieux totalement impersonnels. Rosetta, à l'image des courses répétitives de ses personnages et de ses poursuites en mobylette (une ultime scène poignante), laisse au cinéphile une douleur térébrante qui le ne lâche pas.