J’ai longtemps hésité avant d’aller voir ce dernier film de Kévin Macdonald. Le Dernier roi d’Écosse m’avait paru être une alchimie intéressante entre biopic et fiction, réalisée avec peu de moyen en plus d’être portée par un Forest Whitaker transcendé et habité par son rôle. C’est de nouveau le cas avec How I Live Now. Le réalisateur prouve une nouvelle fois qu’il n’a aucun lien de parenté avec le géant américain (cousin éloigné Ronald), usine à rêve et à oseille pour certains, usine à obésité, diabète, hypertension artérielle, cancers et j’en passe et des meilleurs pour d’autres.
Des critiques négatives que j’ai pu lire au sujet du film, la majorité faites par la presse, semble ressortir ce concept du « film pour ado » au questionnement existentiel futile, et à la romance tirée par les cheveux. Il est important de souligner cette idée parce que le film n’appartient pas à cette catégorie un peu fourre-tout du teenage movie, d’une moins pas totalement. Cela vient surement du fait que c’est une adaptation d’un livre éponyme pour teenage. Avec un livre comme base narrative et scénaristique, mieux vaut en reprendre l’essence, du moins un minimum, si on ne veut pas être traité d’hérétique par la suite.
Dès les premières secondes du générique, le ton est donné. Des paroles se font entendre et s’entremêlent. Ce sont celles de Daisy. Plus personne ne l’appelle Elisabeth. Ces bribes de pensée constituent une sorte de double « schizophrénique » qui s’exprime par l’intermédiaire de ce monologue intérieur. Monologue qui nous permet d’entrer dans cet univers alternatif du film à la croisée des genres – du film de guerre post-apocalyptique en passant par le drame, la romance sans oublier la science-fiction et un générique aux allures de court-film expérimental – par l’intermédiaire de son héroïne. Ces voix, ces pensées, qui se rapprochent d’une voix-off, habilitent l’immersion dans la psyché du personnage et nous permettent de faire connaissance avec cette adolescente quelque peu torturée, comme emprisonnée dans des normes et des cadres qu’elle se fixe mais aussi que la société, à la fois future et « actuelle », détermine. La musique signée Jon Hopkins - par ses sonorités à la fois « fragiles », sombres, irréalistes et annonciatrices d’une violence latente - participe à la création d’un univers manichéen opposant une beauté fragile aux concepts de mort et de barbarie. Je ne peux que vous conseiller d’écouter Rain and Ash, mélange de sonorités rappelant la violence sourde des talentueux Trent Reznor &Atticus Ross mais également les compositions de Clint Mansell. Le suspense se retrouve intensifié dans les scènes de marche et de poursuite, les ellipses et les nombreux changements d’angle de prise de vue fluidifiés par les transitions sonores et visuelles. La photographie est époustouflante - créatrice d’un univers onirique, contemplatif - et les mouvements multiples de caméra, les changements de focale attestent d’une maitrise technique certaine et de la qualité de metteur en scène de Mr. Macdonald. Les plans de succèdent au sein d’un montage rythmé, parfois épileptique, pour construire un objet filmique esthétiquement riche et à la photo léchée. Cette « poésie visuelle » donne d’autant plus de force au surgissement d’une troisième guerre mondiale meurtrière, quasi-génocidaire et violente – dont l’origine terroriste reste vague et les protagonistes suggérés. C’est le principe même de la guerre et du terrorisme : le surgissement d’une violence sanguinaire, irrationnelle, visant à désagréger la société et les valeurs qu’elle incarne. Pour une fois que le terrorisme n’est pas racialisé ou rattaché à un quelconque groupuscule islamiste, djihadiste, il est important de souligner cette originalité.
Grâce à ses acteurs méconnus - exceptée Siaoir…, Saior… pardon, Saoirse Ronan vu et encore « visible » chez Wes Anderson – au demeurant doués, le film ne vire à aucun moment dans le pathétique et possède, paradoxalement à son sujet, de nombreuses scènes comiques, incarnées avec beaucoup d’insouciance par Piper. Saoirse Ronan incarne avec beaucoup de talent et d’émotion cette adolescente au corps frêle, errant et déambulant dans cette campagne londonienne pré et post-apocalyptique. La nature, dans sa dimension générique, constitue un personnage à part entière dont le portrait nous est fait ; elle représente à la fois le symbole de la vie et celui de la mort.
Au vue de ces nombreuses qualités, difficile de ne pas vous conseiller ce film qui traite avec subtilité du thème de l’adolescence et « suggère » plus que ne montre la guerre sans pour autant mettre de côté sa violence psychologique et visuelle (syndrome post-traumatique). Les avions tout comme les balles fissurent l’espace sonore d’un rare réalisme et, l’explosion nucléaire incarne cette habilité du réalisateur à faire du spectre de la guerre un objet filmique à la fois monstrueux, cruel et poétique - faisant de la déflagration et du nuage de cendre autant de flocons caressant la nature, plus tard balayés par la pluie. En somme un film à la mise en scène inventive qui se détache de l’académisme visuelle habituelle et, qui développe des univers et des ambiances sonores, chromatiques diverses pour finalement faire de la projection une expérience de cinéma originale et sensorielle.