On est pris à la gorge, éberlué tant une telle qualité s'est raréfiée en salles ! Enfin, pour qui préfère le subtil au sensationnel, fonctionne, peu avare sur la marchandise savamment déballée dès lors qu'elle embarque en douceur. Dans un constant balancement entre rêve et réalité... Là où il faudrait se frotter les yeux en basculant du terre-à-terre au fantastique, Visconti trouve la fluidité... Il y a des ruptures à l'image, eh bien soit, on bascule, confiants puisqu'il y a aussi cette malice (grognement du monarque, mimique du comédien tenu à l'amuser sans dormir) qui annonce qu'il s'agit d'une fiction et qu'on va en avoir pour son argent. Le couple-fétiche (Schneider-Berger) est inoubliable de similitude physique dans l'adversité, d'abord cousins racés jouant à qui perd gagne, puis brouillés par orgueil et cependant jumeaux jusqu'à l'os. Tout sonne juste si l'on tient dans la durée (défaut majeur, supériorité du dvd permettant deux séances !). On se surprend à penser que l'homosexualité masculine sied même à ce monarque à démarche androgyne, les épreuves lui féminisent l'allure, il déraille, visage ramolli, dents de devant cariées ! Ce n'est jamais sordide pour autant. Un ballet permanent, finement orchestré, on guette le thème sonore principal tout en appréciant d'autres apports, toujours aussi fluides... Une manière incomparable de déployer le décor, avec une profondeur de champ d'une ironie évidente quand ça débouche sur "pas âme qui vive"... Des costumes impeccables et le maintien qui convient pour les porter, stoïque dans la glaciale Bavière (les voilettes de l'impératrice !)... Assortis à ces trouvailles, plein de petits bruits qui font vrai (crépitement des torches, jappement canins (ou... gloussements féminins dans des galeries désertes !). Rien n'est là juste pour faire joli, tout prend sens, parfois un peu plus tard (ce parapluie noir sur le ciel comme ailes de corbeau !). Les yeux écarquillés, aucune miette ne doit être laissée. C'est tellement bien fichu qu'on se figure à l'intérieur des scènes, juste dans les pas du cadreur, comme ces gosses qui montent en manège, on accueille ces chevaux harnachés, on prend place à bord de ces vaisseaux silencieux, on s'approche des cygnes, on joue du violon dans les escaliers avec Wagner, on peigne ces interminables chevelures lors d'une querelle et on suit cette traîne montant le tapis rouge... Somptueux film au son, à l'image, qui relate en la personnalisant sans jamais la défigurer une page d'histoire en insistant sur l'éternel dilemme politique des traités à signer entre voisins... Une folie de souverain qui peut se comprendre... Ce film c'est le déluge, entre ambivalence amoureuse, facettes du pouvoir, rôles des conseils dans l'ascension, dans le déclin, études de caractères, écart entre paroles et gestes... Sans violence pour rameuter et toujours plaisant grâce à la succession de chroniqueurs marquant les étapes. Le chef-d'oeuvre de Visconti à amener sur l'île déserte. Pas une seule ride en 2012 !