Rarement, mais de temps en temps, surgissent des films forts qui changent la donne d’un cinéma viscéralement lié à la finance. Films dont l’énergie soudainement déployée nous emportent vers ce que le Cinéma tend à faire résonner, de l’émotion pure, une innovation créative marquée et un auteur qui émerge à travers son oeuvre.
Ces conditions sont pleinement remplies par le premier film de Benh Zeitlin.
Tel un poème à la structure anarchique mais épique, ode à l’enfance où l’innocence serait le fil conducteur, Les Bêtes du Sud Sauvage procure ce bien être qui nous séduit, autant dans la perte de repère qu’il créé, que dans les séquences d’un naturel confondant que le réalisateur à le talent de mettre en scène. Si il n’y a pas une lecture unique pour en apprécier toute la saveur le film prend place en ce que chacun peut ressentir devant une telle œuvre.
La force du métrage tient essentiellement dans l’interprétation de son actrice principale, du haut de ses 5 ans, Quvenzahné Wallis magnétise par son interprétation chacune des séquences dans lesquelles elle apparaît. Son naturel à imprégner chaque scène par la note constante qu’elle délivre, réside entre le charme et le caractère appuyé du personnage mais aussi de l’actrice elle-même.
Le désir de Zeitlin de ne pas vraiment inscrire le film temporellement et laisser un flou constant sur la géographie précise de son histoire, contribue à insuffler une note poétique. Si certains peuvent rester de marbre à l’aspect déstructuré de l’histoire (de nombreuses ellipses), l’intention première n’est jamais perdue, celle de trouver une narration moderne et figurative à ce conte. Son propos ne sera que plus fort lors d’envolés fantastiques où une horde de bêtes fantasmagoriques, à la taille démesurée, viendront prendre place dans le récit pour une confrontation finale lourde de sens.
Si le regard principal est souvent celui de Hushpuppy (Quvenzahné Wallis), le réalisateur n’oublie jamais de conjuguer son récit imaginaire avec celui plus réaliste et même critique de la société et des laissés pour compte. C’est au travers du regard adulte cette fois (celui du père et des villageois) que Benh Zeitlin se charge de faire une critique acerbe de l’Amérique. Là, où les forces de l’ordre, incapables de gérer la situation enlèvent le peu de liberté qui reste aux hommes. Ce point de vue comme le décorum fait indubitablement penser à l’après Katrina.
Au milieu de cet ensemble, comme un fil conducteur, se bat avec son innocence, la jeune héroïne, qui devient alors vecteur d’une fuite en avant, mêlant courage et volonté. Benh Zeitlin démontre ainsi le pouvoir de l’imaginaire et de la structure que les rêves forment à l’âge adulte, et ce, sans ne jamais mettre de côté son innocence.
Loin des formats actuels d’un cinéma plus souvent divertissant, Les bêtes du Sud Sauvage engendre le plaisir de découverte d’un cinéma bricolé, fort de sens et de beauté. On ne réalise pas seulement des films de cette trempe en 3D mais également avec un sens de la narration et de la réalisation, même si risquée, marquée et personnelle. Beau et touchant…pendant très longtemps.
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