Je me demande, à l’issue du visionnage de Blow Out, quel spectateur de Blow-Up (Michelangelo Antonioni, 1966) Brian De Palma a été, lui qui revendique cette influence jusque dans le titre de son film. Un meurtre a lieu, dans les deux films, que la prise impromptue d’images (dans Blow-Up) ou de sons (dans Blow Out, même si les images suivront) permettra peut-être d’élucider. Mais si, dans le film d’Antonioni, la vérité semble échapper de plus en plus au personnage (et au spectateur) à mesure que celui-ci travaille les photographies du meurtre, faisant de celles-ci des représentations de plus en plus abstraites de la réalité (ce qui les rapproche de la peinture moderne) ; dans le film de De Palma, par un habile montage du personnage joué par Travolta mais surtout du cinéaste (l’usage de l’écran divisé trouve ici tout son sens), le rapprochant de son côté du précinéma (les photos récupérées du meurtre formant un folioscope), l’affaire sera bien vite résolue, et verra l’intrigue se resserrer sur une forme finalement très classique de thriller vaguement politique. Tout le mystère qui entourait la quête (plutôt que l’enquête) de Blow-Up, figuré par ces étranges pantomimes jouant au tennis « pour de faux », mystère qui faisait tout l’intérêt du film, est ici évacué par une énigme trop rapidement solutionnée, faisant place à l’action, et même excessivement, avec un final « grand spectacle » qui ne sert pas particulièrement la fin du récit (mais qui sert peut-être à justifier des moyens dont le réalisateur a disposé ?). De Palma maîtriserait-il mieux le langage hitchcockien que celui, subtil voire abstrait, du maître italien ?
Autre référence assumée : Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974), qui vient tout de suite à l’esprit du spectateur au vu de l’outil utilisé par Travolta pour la prise de sons, en forme de fusil. Cette référence marque également la caractérisation du personnage puisque lui aussi est hanté par une affaire d’écoutes qui a mal tourné. Mais ce qui fait la force du film de Coppola, c’est le climat de suspicion qui entoure l’intrigue, le mystère persistant, sans cesse souligné par l’architecture froide des villes modernes, la solitude dans laquelle les individus s’y enferment, et cette technologie qui ne s’arrête pas de progresser, dans une logique du tout-omniscient, rendant fou, pourrissant les relations, corrompant les hommes. Et de cette noirceur ressortent quelques notes, chantées par un saxo désespéré - peut-être le dernier refuge pour s’extirper de cette frénésie de technologie ? Là encore, l’intrigue n’est jamais si fascinante que lorsqu’elle met en relief tout ce qui est en arrière-plan, tout ce qui relève de l’implicite. Il n’y a pas tout cela dans Blow Out, nonobstant les qualités de filmeur de De Palma. Le poids des références pèse donc assez lourd dans l’appréciation du film et, personnellement, je préfère quand celui-ci revisite Hitchcock tout en lui ajoutant les éléments qui lui sont chers.