Bon (ou mauvais, peut-être) sang ne saurait mentir. Autrement dit, on attendait, l’œil aux aguets et la langue déjà vipérine, le premier long-métrage de Brandon Cronenberg, le fils de David, le réalisateur canadien sulfureux, observateur acéré des névroses et phobies en tous genres de la société occidentale. Loin de nous l’idée d’étayer ici une comparaison hasardeuse entre le père et le fils, mais plutôt l’envie de voir l’influence évidente du premier envers le second, mais aussi comment ce dernier parvient à s’en extraire et à faire œuvre personnelle. S’il y a une continuité entre les deux hommes, elle est d’abord à chercher autour des thématiques abordées.
Dans Antiviral, elles concernent d’une part notre rapport de fascination, confinant à l’obsessionnel et au morbide, que les célébrités exercent sur nous et d’autre part la menace sérieuse et terrifiante, représentée par la mise au point et la propagation de virus, instruments redoutables et efficaces parce qu’invisibles et mutants d’une guerre bactériologique dont on s’étonne qu’elle n’ait pas encore eu lieu. Le scénario, en charge de mettre en jeu les marottes de Brandon Cronenberg : quel aspect revêt une maladie et comment vit-on avec un organisme extérieur qui envahit, puis détruit, le corps, s’avère complexe et tortueux, ne parvenant pas à explorer les pistes ébauchées jusqu’au bout. La communion avec les stars, qui repose donc sur l’injection de virus les ayant infectées par leurs fans vampiriques (et, somme toute, particulièrement stupides) ne sert que de long préambule à l’ensemble. Antiviral devient ensuite un thriller glacial et effrayant dans lequel entrent en scène des laboratoires tout-puissants, employant des hommes de main cruels et cyniques.
Formellement accompli et rigoureux, le film travaille pour l’essentiel sur les contrastes : certaines parties offrent une image très blanche et clinique, reflétant la déshumanisation de la société, tandis qu’à d’autres moments, il épouse des tons nettement plus sombres et organiques. Cependant, il n’évite pas toujours la complaisance, sinon la délectation, à répéter des scènes choc, provoquant le malaise chez le spectateur qui va ainsi assister à une dizaine de piqûres, prises de sang ou injections filmées en plan rapproché. Même s’il semble se situer à l’époque actuelle, Antiviral possède une dimension d’anticipation, dessinant un monde toujours plus technologique et barbare, dans lequel le retour du cannibalisme témoigne de la fascination ultime. L’objet final a quelque chose de fascinant et répulsif, à l’aune de son acteur principal, le jeune Caleb Landry Jones, diaphane et éthéré, à la fois innocent et pervers, emprisonné dans les rets de manœuvres machiavéliques. Par ailleurs, il se révèle aussi quelque peu ennuyeux et vain, n’offrant après tout guère de neuf dans la vision d’un monde sans repères, où l’apparence et le physique auront définitivement supplanté l’intériorité et le mental. En fait, le côté scientifique de cette affaire échappera en grande partie au néophyte, davantage pétrifié par l’horreur qu’il découvre que chahuté dans ses propres convictions. En clair, le film aurait gagné à épaissir le fond et à ne pas se limiter uniquement à une stylisation qui joue un peu trop de l’effet et de l’esbroufe. Brandon Cronenberg a de toute évidence du potentiel et des idées qu’on espère honnêtement le voir développer et affirmer dans la suite de sa carrière.