Fils spirituel de Larry Clark, dont il a écrit les cultissimes Kids et Ken Park, Harmony Korine a souvent été associé à un cinéma indépendant excentrique et provocateur, de son étonnant premier long-métrage Gummo à son docu-fiction expérimental Trash Humper (summum de mauvais goût où l'on baisait des poubelles en chiant partout). Cependant, après une cure de désintox revigorante, notre hipster trash décide de se frotter à un projet bien plus grand que lui (et donc beaucoup plus cher que d'habitude), en partant observer ce gros moment de débauche adolescente qu'est le Spring Break. Korine n'en perd pas pour autant sa personnalité si singulière. Bien au contraire, ses thèmes de prédilection sont toujours présents (le désenchantement d'une jeunesse livrée à elle-même, la quête de beauté, voire de poésie, au cœur de la misère ou de la violence...) et on lui découvre même un savoir-faire plastique hors-norme, proche de l'avant-gardisme d'un Malick ou d'un Godard sous acide. Plus contemplatif et définitivement plus inventif qu'un teen movie comme Projet X, ce thriller sulfureux, dont certaines scènes relèvent véritablement de l'expérience sensorielle, se vit comme un shoot de drogue. Un scénario instinctif et à la narration éclatée fait la part belle à une réalisation ultra graphique et à des montages alternés complètement « what the fuck ». Korine filme une sorte d'extase, il varie les cadrages, les lumières et les temporalités, en ressassant sans arrêt les mêmes extraits et autres gimmicks sonores (des murmures, de gros bruitages de flingues pour passer d'une séquence à une autre...). Une sorte de collage foutraque en somme, mais une claque esthétique indéniable, que l'on doit en partie à l'impressionnante direction photo de Benoît Debie. Connu pour ses collaborations audacieuses avec Gaspar Noé (Irréversible, Enter the Void et plus récemment Love), ce magicien de l'image s'est encore une fois bien lâché : Beaucoup de néons, d'éclairages fluos et un agencement presque scientifique de la couleur, qui fait sens dans absolument chaque plan du long-métrage (mention spéciale à ce sublime braquage en plan-séquence). Un bonheur pour les yeux qui au passage s'associe parfaitement à la musique planante de Cliff Martinez et Skrillex. Côté casting, on ne cache pas notre plaisir (coupable) de voir ces starlettes issues de série pour ados malmener ainsi leur image, aux côtés de madame Korine et d'un James Franco en roue libre, tout bonnement hallucinant dans un rôle (extrêmement caricatural) de rappeur gangsta aussi inquiétant qu’hilarant. Les cinq personnages principaux forment un gang particulièrement sexy, mais obsédé par un amercican dream à la Scarface, et surtout complètement abrutis par la société de consommation... Par ailleurs, en incluant diégétiquement deux de ses plus grands tubes dans la BO, le long-métrage souligne un parallèle tout à fait passionnant entre Britney Spears et ses héroïnes, comme pour évoquer la génération perdue dont elles font toutes partie. Voilà donc tout l’intérêt de Spring Breakers, qui témoigne à la fois d'une fascination et d'une grande inquiétude pour cette jeunesse à la dérive, en alternant constamment (...et parfois avec humour) entre une euphorie décomplexée et une violence très « film noir ».