C’est également ça le cinéma. Prendre un détail, aussi idiot que naïf, aussi générationnel qu’inintéressant et réussir à en faire un objet magnifique qui oscille constamment et avec brio entre le sublime et le repoussant. En retard, on se penche alors sur ce Spring Breakers profond, superficiel, esthétiquement splendide et scénaristiquement intelligent. Pourtant, l’histoire pourrait tenir sur un bout de papier : quatre filles décident de partir pour un Spring Break censé clore leur fin d’étude. Mais fauchées, elles braquent un fast-food pour financer leur voyage. Pour se motiver, elles prétendent être dans un jeu vidéo ou dans un film. Ainsi, elles tombent dans un monde hybride, dangereux où tout semble accessible, où leur vie prend un sens inattendu, où le plaisir paraît infini.
Catapultée dans un univers faussement illimité, coincé entre l’adolescence et l’âge adulte, la caméra d’Harmony Korine s’affranchit des codes, use de la syncope, se joue des clichés afin de proposer, tout d’abord, une vision acide, parfois poétique, souvent fantasmagorique de ce rituel américain qui débouche sur la débauche la plus vulgaire, la plus formatée mais aussi la plus libératrice. A ce titre, les comédiennes (Selena Gomez, Vanessa Hudgens, Ashley Benson et Rachel Korine) livrent une partition parfaite dans laquelle la retenue et la folie se croisent avec minutie. Néanmoins, le véritable joyau de ce long-métrage réside dans la performance gigantesque de James Franco capable en un instant de passer d’une pose ridicule à une intention capitale.
Noyant le culturel dans une consommation factice, le film ressemble à une vaste allégorie de l’expérience sexuelle. Le spectateur assiste aux préliminaires dans les couloirs de l’université quand les corps se frôlent, à la première fois symbolique lors du braquage et bien sûr à l’orgasme final. Ici, la libido s’efface subtilement confrontée à une violence totale et perdue entre fantasme et réalité. En effet, la seconde partie abandonne l’innocence tout en la remplaçant par une dangerosité magnétique. Puissant, visuellement grandiose, ce passage prodigieusement mis en scène termine avec force un récit finalement époustouflant.
Spring Breakers s’impose comme un moment fort de cette année cinématographique. Energique, fantastique, brillant, Korine s’amuse des attentes et signe une oeuvre importante, unique et mirifique. Entre chocs et émerveillements.