Spring Breakers est un film étonnant, bluffant même. Où tout est affaire de maîtrise, d'équilibre entre immersion et distanciation. Immersion dans l'univers d'une certaine jeunesse, dont le réalisateur Harmony Korine restitue les délires fun et trash, sur un mode à la fois vulgaire et clinquant. Distanciation du regard pour brosser un tableau de ce qu'est le rêve américain aujourd'hui, pour cette jeunesse. Une jeunesse qui fait le grand écart entre, d'un côté, une tradition puritaine (incarnée par le personnage de Selena Gomez), un discours moral standardisé (comme en témoignent les dernières conversations téléphoniques des deux héroïnes avant le final), et d'un autre côté, une insouciance profonde, coupée des réalités (le braquage s'accomplit "comme dans un jeu vidéo"), doublée d'une fascination pour le dévergondage, les gangsters, l'argent facile, le pouvoir... Symbole gentiment subversif de ce grand écart : le choix des actrices, estampillées Disney, conviées ici à une balade sauvage, révisée façon MTV. Harmony Korine s'est approprié les références et codes culturels d'une génération pour en faire jaillir la naïveté, la pauvreté, voire la bêtise, mais aussi pour traduire son étrange pouvoir de séduction. Sans tomber dans la critique directe et facile, sans tomber non plus dans la complaisance, il réalise un film hyper stylisé en convoquant l'esthétique d'un David LaChapelle (les scènes de plage, au ralenti), les décors et les fantasmes d'un Snoop Dogg (à travers les portraits des gangsters), les chansons d'une Britney Spears : la scène où James Franco - très bon - chante au piano, devant une piscine, sur fond de soleil couchant, est assez irrésistible. L'essentiel du film est emballé sur un rythme hypnotique, dans un flux d'images aux couleurs pop flashy, avec des cadrages parfois renversants, pour créer un drôle d'objet sensitif et ironique, repoussant et séduisant. Une harmonie paradoxale entre fond et forme. Unique en son genre.