La comparaison avec Malick avait de quoi surprendre, « Spring Breakers », présenté en compétition officielle à la Mostra de Venise 2012, est pourtant THE surprise de ce début d’année. Le film fait actuellement jaser le web pour trois raisons : le casting tout d'abord, composé essentiellement de jeunes princesses Disney (Selena Gomez, Vanessa Hudgens, Rachel Korine, Ashley Benson) qui effectuent ici un virage à 180° en incarnant des adolescentes faussement sages, dévergondées comme jamais et complètement défoncées au crack ; le deuxième motif probable de l'hystérie collective émerge de la bande-annonce du long métrage, jugée niaise par certains, laissant présager un ersatz de « Projet X » ; enfin, le nom du metteur en scène, Harmony Korine, petit protégé de Larry Clark – il a écrit pour lui le scénario de « Kids » et de « Ken Park » – issu d'un milieu plutôt indépendant et assez barré si l'on se réfère à son « Gummo ». Pas étonnant non plus de retrouver le bonhomme crédité au générique de quelques films de Gus Van Sant, cette fois en tant qu'acteur : « Will Hunting » et « Last Days ».
Ça commence comme un bon vieux clip MTV – plans serrés sur des donzelles en bikini et messieurs huilés se trémoussant sur une plage de Floride pendant la fête printanière orgiaque de « Spring Break », le tout filmé à vitesse grand V et à grands renforts de son pop – et pourtant, quelque chose cloche. Quoi donc ? Peut être cet espoir naïf d’être plus emballé par la suite par un tout autre spectacle, plus propice au doute et à la réflexion. Puis voilà, le fantasme se transforme rapidement en réalité avec l’arrivée en scène, lors d’une séquence nocturne brillamment filmée, des personnages féminins. Candy, Faith, Brit et Cotty sont amies depuis le primaire. Qui sont-elles ? D’où viennent-elles ? Peu importe. Vides et lasses d’une vie monotone sans affect, nos quatre borderline, véritables égéries de la jeunesse américaine décadente sans limite, désirent plus que tout au monde connaître l’environnement inconnu et libertin du Spring Break. Le rêve américain vendu dans les médias d’aujourd’hui (pubs, réseaux sociaux) en quelque sorte. Le sentiment d’abandon et l’errance pathologique conduisent nos protagonistes vers une rencontre improbable : « Alien », gourou, amant, dealer, psychothérapeute, oui tout ça à la fois. Soudain, tout bascule, et la descente aux enfers peut commencer.
Loin d’un cliché sexiste ou misogyne, « Spring Breakers », sur ses (faux) airs de teenage movie us, est un voyage initiatique et satirique de l’Amérique puritaine, une parfaite vitrine d'un American Dream en pleine déconstruction en somme. Point de controverses ou d'incitations à la débauche et à la violence ici, bien au contraire. Personnages peu enviables, situations peu complaisantes, goût amer de la liberté, expédition envoûtante mais pernicieuse, tout est bon pour provoquer la nausée du spectateur qui sort de l’aventure plus mûr qu’un abricot. Avec « Spring Breakers », Korine propose une œuvre unique, lente et contemplative, riche d’excès en tout genre qui, jamais approuvés, sont plutôt moralement interrogés dans l’enfoncement inéluctable dans lequel sombrent les quatre nénettes. « On s'est enfin trouvées » lâche Candy (Vanessa Hudgens) en fin de course au téléphone à sa mère. Parole résonnant comme l’apogée de l’expédition transgressive. Ces coups de fil aux parents, parlons-en. Tentatives fructueuses (ou pas!) de ramener nos quatre adolescentes à la réalité d’une vie mortifère.
Empruntant aussi bien au corrosif de « Battle Royale » qu’au subversif Winding Refn (« Drive ») ou aux sensei Larry Clark / Gus Van Sant, Harmony Korine se détache néanmoins de ses maîtres par un style plus visuel et fictionnel grâce à une mise en scène intelligente et longuement ciselée.
Plusieurs artifices à saluer : tout d’abord, l’esthétique MTV savamment détournée (la réalisation clipesque, les chansons rap, la pop culture, l’image de la génération Britney Spears) et intégrée à la façon de flashs délirants dans le montage, la pellicule sublime d’autre part (couleurs fluo tape-à-l’œil contrastant avec le ton sombre du long métrage), une pellicule qu’on aimerait pouvoir lécher, signée Benoît Debie, directeur de photographie attitré de Gaspard Noé et Fabrice Du Welz.
Moment de grâce lors d’une séquence folle où le guide spirituel James Franco, entouré de ses muses encagoulées et armées jusqu’aux dents, pousse la chansonnette et reprend divinement en version piano le « Everytime » de Britney Spears.
L’enfant chéri du cinéma pop underground emploie par ailleurs un casting parfait en écorchant l’image de ses stars Selena Gomez & Vanessa Hudgens. Le surnom « Disney girls gone wild » vu partout dans les médias reflète parfaitement le traitement dénaturant de ces jeunes filles BCBG.
James Franco est, quant à lui, méconnaissable mais impérial en malfrat notoire. L’Oscar n’est pas loin bonhomme, courage !
Un mot enfin sur la BO, signée Skrillex & Cliff Martinez, compositeur de « Drive » et « Contagion », ensorcelante comme toujours et transcendant le propos.
Quelques bémols dont se nourriront probablement les détracteurs : et d’une, le marketing du film (trailer, affiches, interviews) un peu pervers, faut l’avouer, qui racole comme un énième « American Pie » et, interroge fortement sur la compréhension de l’enjeu par l’équipe derrière la caméra. Ensuite, le reproche d’être toujours un peu sur le fil et de ne pas assez se politiser, en somme, de manquer de l’audace attendue tant qu’à faire.
Bilan : « Spring Breakers », ou le coup de massue dans la conscience collective indue, Harmony Korine frappe fort. Nettement plus profond qu'il n'y paraît, cet « anti-American Pie », sans format ou calibre, est une authentique bombe à retardement dont on pensera dans quelques années qu’elle était un signal d'alarme d'un monde en perdition.