"Le Sommeil d'Or" nous offre un joli voyage au cœur d'une cinématographie défunte. En effet, le cinéma national cambodgien n'aura connu qu'une quinzaine d'années d'existence entre la fin du joug colonial et la prise de pouvoir par les Khmers Rouges. Tel un archéologue sur les traces d'une civilisation disparue, Davy Chou tente de reconstituer cette période dont il ne reste quasiment rien : tous les films ont été détruits ou sérieusement endommagés par le régime de Pol Pot, les studios et les salles de cinéma ont été transformés en karaokés ou en logements de fortune et, parmi les représentants de l'industrie cinématographique locale (acteurs, réalisateurs, producteurs...), rares sont ceux qui ont survécu au génocide. Faute de corps, c'est donc l'âme du cinéma cambodgien que Davy Chou convoque en posant sa caméra dans ces lieux autrefois consacrés au 7ème Art mais qui ont aujourd'hui perdu leur fonction première et en recueillant les souvenirs (parfois fantasmés ?) des survivants de cette période qui ont tous dû, comme leur pays tout entier après 1975, repartir de zéro. Et là, forcément, le cinéma n'était plus une priorité... Si "Le Sommeil d'Or" laisse beaucoup de place à la rêverie, attention à ne pas se laisser déborder par l'enthousiasme des témoins. Sur ce qu'on voit des très rares images et sur ce qu'on entend des documents sonores qui ont pu être miraculeusement préservés, on a quand même l'impression que le cinéma cambodgien n'a pas vraiment produit que des chefs-d'œuvre. Tous les films évoqués semblent assez proches de ce qui se faisait de plus basique à la même époque en Inde ou à Hong-Kong : films en costumes cheap, romances chastes un peu cucul, polars dans la jungle... Néanmoins, on peut quand même penser que, si elles avaient survécu, certaines de ces bandes auraient sans doute pu gagner avec le temps et grâce à leur exotisme (effets spéciaux sommaires, chansons kitsch...) un statut de nanar culte dans nos contrées. Mais bon, comment ne pas s'émerveiller devant la fin du film qui nous montre la projection sur un mur de brique de quelques scènes sauvegardées mises bout à bout (un peu comme dans "Cinema Paradiso", mais là, ce n'est pas de la fiction...) ? Toute la mémoire d'une culture et d'une époque sur quelques centimètres de pellicule. Quand on imagine tout ce qu'ont pu endurer les hommes et les femmes présents sur ces images ou à leur origine... D'ailleurs -et c'est bien dommage-, on ne peut vraiment que l'imaginer car on n'apprend pas grand chose sur le sort de ces gens sous Pol Pot, seuls deux intervenants (deux réalisateurs, un exilé et un interné en camp de travail) nous faisant partager leur expérience de cette période. On rêve et on imagine beaucoup, donc, mais on somnole aussi, parfois : pour les plans de coupe entre les différents témoignages, Davy Chou opte pour l'élégance un peu maniérée et nous propose de looooongs travellings dans les rues de Phnom-Penh ou sur des routes de campagne. Bref, des plans qu'on a plus l'habitude de voir dans les films de Wong Kar-Wai ou de Tran Ahn-Hung que dans un documentaire. Très beau et un petit peu chiant, à la longue, mais globalement une bonne expérience et une vraie découverte. A tous les niveaux.