Il existe, au sein de l'histoire du 7ème art, des productions qui ont dépassés l’humainement concevable au niveau de leur grandeur, de l'ampleur des moyens déployées afin de les mettre sur pied. The King of Kings est une merveille, d'une taille gigantesque, résultat d'un chantier pharaonique, dépassant l'imagination. On ne voit pas ça deux fois dans sa vie de cinéphile. Le générique est précédé d'une ouverture musicale orchestrale magistrale, comme se doit d'en avoir toute fresque cinématographique digne de ce nom. Lorsque le titre du film The King of Kings s'affiche à la fin, sur cette image de coucher de soleil, on est déjà au cœur de l'émotion d'un spectacle grandiose, on sent que plus rien n'existe en dehors de la salle. Les premiers plans laissent déjà bouche bée. Des paysages grandioses s'alignent sous nos yeux à perte de vue, des décors grandeur nature imposent leur magnificence, et des centaines de figurants défilent avec panache. Autant le préciser tout de suite, si il y a bien un support à l'heure actuelle qui convient à ce film c'est le Blu ray. Tourné en Super Technicolor 70 mm (la norme d'aujourd'hui c'est du 35 mm...), le visuel retranscrit est à tomber : visuel parfait qui ébahit les mirettes grâce à une impressionnante palette de couleurs vives, des visages ultra définis dont on distingue chaque pores, et enfin une profondeur de champ inouïe. Ce n'est qu'au cinéma ou, à défaut, avec un Home Cinéma que cette œuvre peut s'apprécier pleinement. Le film progresse ainsi par tableaux colossaux, qui dressent des descriptions matérielles démesurées mais pointues de l'époque du Christ et de la Judée. On se régale de tout ses détails important pour l'aspect historique, au niveau des techniques de préparations de la nourriture, du forgeage des armes, du rangement d'une armée, des costumes allant de la maigre toge aux chatoyantes parures des riches maîtres de Jérusalem en passant par les tenues de guerre des forces romaines. On peut donc envisager The King of Kings sous un angle de documentaire. Tout est très soigné du côté formel. Cependant le jeu des acteurs et la narration s'inscrivent sur un tout autre registre. Le casting concentre un lot d'acteurs impliqués dans leur rôles et mut par un désir de donner une tonalité uniforme répondant aux exigences du projet : lenteur des gestes, paroles débitées tel un texte sacré, long regards intense sur lequel le réalisateur Nicholas Ray insiste particulièrement. On a ainsi l'impression d'assister à un opéra, ou à une pièce de théâtre tragique. Le choix crucial (c'est le cas de le dire) était celui de l'acteur devant incarner Jésus. Jeffrey Hunter s'en tire bien, préférant adopter un jeu qui cherche le juste milieu dans le son de la voix, la rapidité des répliques, plutôt que de tenter à tout prix de délivrer la performance d'anthologie du siècle. Au final il en ressort plus humbles, couvert d'humilité. Son regard désincarné est difficilement oubliable, il réussit grâce à lui à transmettre beaucoup d'émotions tout en n'en affichant que peu. Harry Guardino campe Barrabas avec force, détermination et conviction. Le personnage qu'il crée nous tient fermement en haleine et c'est l'acteur qui réussit le mieux après Jeffrey Hunter. En troisième position j'ai envie d'établir subjectivement Ron Randell dans le rôle de Lucius, un centurion romain moins secondaire qu'il n'y paraît. En effet il est souvent relégué au second plan dans l'espace, lorsqu'on observe la disposition des scènes. Mais il est très souvent présent, son personnage est psychologiquement intéressant, et son jeu minimaliste est celui qui se rapproche le plus de l'émotion à taille humaine dans ce film ou tout est soit grandiloquent soit halluciné et mystique. Ainsi Jean le Baptiste (Robert Ryan) ressemble à un mage de Tolkien (excusez la lourdeur de la comparaison) déclamant des incantations l'air transcendé pour redevenir humain dans ses moments plus sereins. Retenons également le maître de Judée, et Salomé jouée par Brigid Bazlen avec toute la sensualité et la cruauté qui s'imposait (la scène de la danse est remarquable en tout points, une vraie démonstration de la virtuosité de Nicholas Ray et de la beauté de Brigid Bazlen). L'histoire est racontée par la voix de Jean Le Baptiste, tel un conte légendaire (c'est là que j'ai pensé à Tolkien...hum hum) d'une ampleur millénaire. Contrastant avec la somptueuse plastique du film mettant en avant la reconstitution du cadre historique (l'aspect documentaire dont je parle plus haut), cette narration brille par son absence de détails, sa présentation du sujet en terrain connu, car il est vrai que si l'on n'as pas la moindre idée de la vie du Christ on peut se retrouver un peu perdu. A moins justement de s’intéresser aux rapports entre les personnages, toujours mis en avant grâce aux regards, tandis que les dialogues en apprennent peu. On se retrouve donc à suivre un récit de quête, de lutte (avec des séquences de batailles énormes qui n'hésitent pas à verser du sang comme dans tout péplum qui se respecte...à côté de ça beaucoup d'instants choquants sont hors-champ ou seulement évoqués) et d'intrigues dans le clan des puissants. C'est long, et le public risque fort de s'ennuyer. Ça n'en reste pas moins, pour le cinéphile, un délice graphique de chaque instant qui pallie à cette lenteur. Qui d'ailleurs sert à rendre l'ensemble plus majestueux et à renforcer le sentiment d'édifice lourd et imposant lié à The King of Kings. La séquences du sermon a de quoi laisser pantois devant cet attroupement de figurants qui compte parmi les plus grand rassemblements de personnes de chair et d'os de l'histoire du cinéma. En revanche cette scène, si il est évident que le metteur en scène avait l'intention d'en faire le moment fort du film, est définitivement trop molle et trop exaltée vers des cimes bibliques peu compréhensible pour fonctionner. Elle se fait largement dépasser par la crucifixion finale, qui se permet un plan dingue à la limite du génie. Tout comme la dernière image, mémorable, de l'ombre du Christ formant une croix avec le filet de pêcheur qui lui est perpendiculaire. Beaucoup de gens trouvent ce film froid, peu intimiste, lavé de vraies émotions palpables. Placer ce type d'émotions dans un péplum de cette envergure est chose difficile. Il y a malgré tout quelques éclats, et une musique vraiment sublime qui aide. The King of Kings est donc un chef d'oeuvre, beau comme du marbre, ce qui suscite peu d'intérêt de la part de la majorité des spectateurs. C'est effectivement une beauté difficile à apprécier, à appréhender, mais qui porte vers des horizons fabuleux.