Un « biopic » de plus – là sur le mathématicien Alan Turing, un Britannique qui a contribué à l'émergence de l'intelligence artificielle. Fort décevant. Le film est découpé en 3 périodes : les 13 ans du héros à Sherborne, une « public school » du Dorset (où s'éveille son intérêt pour les casse-tête et la cryptologie –
en même temps qu'il s'initie aux « amitiés particulières »),
son séjour pendant la guerre à Bletchley Park (où, affecté à la Hut 8, il travaille sur la cryptanalyse de l'Enigma navale) et les suites d'un cambriolage ayant lieu en 1952, à Manchester
(l'auteur, arrêté, indique avoir été renseigné par un ex-amant de la victime – d'où condamnation pour « indécence publique », comme le prévoyait encore la loi anglaise).
Le montage passe de l'une des périodes à l'autre – seul effort de narration (mais sans fluidité particulière, puisque la période de la séquence est indiquée, à chaque fois) !
La vie de Turing est considérablement résumée, et son apport intellectuel, scientifique mais aussi philosophique (au titre près du film : « The Imagination Game »), très édulcoré. De même, aucune précision sur les machines Enigma (à variantes), conçues dans l'Allemagne des années 20 et utilisées par de nombreux services de renseignement et diplomatiques – les Nazis et leurs alliés restant les plus connus en la matière cependant. Turing et son équipe (dont Hugh Alexander, son adjoint) n'ont fait que continuer les travaux du renseignement polonais, commencés dès 1932 – là encore, rien de ce genre à l'écran. Où l'on fait croire que le mathématicien a pu « casser » l'ensemble du codage Enigma (ce qui est inexact), dans le même temps où ses séjours secrets aux E.-U. (42/43), dont on ne dit mot, lui ont permis de réaliser des progrès décisifs... Le scénario préfère faire la part belle au hasard miraculeux
(les suites d'une réflexion anodine d'Helen)
, et au parcours sentimental de Turing (
quitte à en faire une victime à cet égard, un refoulé – alors qu'il affichait en réalité complaisamment son homosexualité
) .
Résumons : des travaux savants mal exploités cinématographiquement parlant, et un éclairage de la vie privée faussé. On a soudain l'impression que Turing devient un symbole de l'obscurantisme de la législation pénale outre-Manche, que le personnage de Joan est celui de l'émancipation des femmes – et que ces deux questions sont plus chères au réalisateur que l'aspect « Enigma », dont l'exposé est très lacunaire, tout en étant simplifié à l'extrême, et amplifié hors de raison.... Exit la biographie et l'Histoire, bonjour le militantisme....
Le tout est académique à la mise en scène, et un brin languissant (durée totale : presque 2 heures). Reste Benedict Cumberbatch en Turing, moins époustouflant qu'à l'ordinaire, mais réussissant à donner pratiquement son seul intérêt à ce 1er « long » du Norvégien Morten Tyldum (coproduction américano-britannique). Miss Kneightley (« Joan ») est, pour sa part, cachexique et minaudante (transparente, au propre, comme au figuré) – comme d'habitude.