Foxcatcher rejoint un étonnant tir groupé de films US (Night Call, Whiplash, A Most Violent Year) qui dessinent à leur façon un tableau du rêve américain entre ombre et lumière. Où il est question de réussite individuelle, d'ascension et de reconnaissance sociales. Où les personnages sont prêts à payer le prix fort (en argent, en effort, en vertu ou en vice) pour parvenir à leurs fins.
Dans Foxcatcher, les trois protagonistes principaux incarnent chacun une facette de ce rêve américain. Mark Schultz est un beau bébé bodybuildé (mais fragile dans sa tête) qui veut simplement être le meilleur lutteur du monde (comme Rocky dans l'univers de la boxe), en cherchant la reconnaissance et l'affection exclusives d'un mentor. John du Pont, milliardaire égocentrique, mytho et mégalo, incarne quant à lui le pouvoir de l'argent et le patriotisme exacerbé ; il ambitionne de donner du rêve et de l'espoir à l'Amérique par le biais de la gloire sportive, dans une quête de reconnaissance nationale qui cache mal une quête plus intime... et plus pathologique : la reconnaissance de sa mère, la reconnaissance de son "fils de substitution"... Enfin, David Schultz, frère de Mark, représente le père de famille, la stabilité et la force protectrice, mais aussi l'art douloureux du compromis (entre sa propre reconnaissance de coach sportif et l'assurance de la sécurité matérielle de sa famille).
Foxcatcher n'est pas un tableau critique des idéaux US, mais bien un constat amer de leur dévoiement. C'est aussi évidemment le drame de plusieurs désirs de reconnaissance inassouvis. Et au final le drame d'une Amérique qui se perd en rêvant, dans la confusion de ses motivations profondes.
Les scénaristes E. Max Frye et Dan Futterman, ainsi que le réalisateur Bennett Miller ont nourri cette réflexion à partir d'une histoire vraie, dont ils ont tiré un récit à la fois intime et ample, en évitant toutes sortes d'écueils démonstratifs ou psychologisants. Ce qui séduit le plus dans ce film élégant et intelligent, c'est son art subtil du non-dit et de l'allusion, sa façon de cerner la complexité et l'ambiguïté des relations humaines, tout en jouant avec des symboles qui donnent à cette histoire des résonances plus larges, psychanalytiques et sociétales. L'ensemble est un maelström intense et troublant d'influences, de désirs possessifs et de frustrations, orchestré par une mise en scène classique et maîtrisée, parfois un peu lente et froide, mais toujours pertinente dans l'expression des rapports de forces, dans la lutte des corps qui porte en elle les troubles émotionnels et psychologiques des personnages.
Le film doit aussi évidemment beaucoup à ses trois interprètes principaux : Channing Tatum, qui a le physique de l'emploi, se montre convaincant dans la pratique même de la lutte et dans son personnage de colosse mal dégrossi et friable ; Steve Carell, méconnaissable après maquillage, impose de façon surprenante une présence mystérieuse, malsaine et pathétique, dans un contre-emploi absolu qui fait oublier ses rôles comiques ; Mark Ruffalo, plus barbu et trapu qu'à l'accoutumée, se révèle très bon dans un registre qui n'est pas forcément le sien non plus, celui de la force tranquille, et fait preuve d'une belle finesse dans certains échanges, particulièrement lors d'une scène d'interview "arrangée", face caméra, remarquable.