Saisissante psychanalyse de l'Amérique et écrasante tragédie humaine, Foxcatcher ne souffre que peu de défauts. S'il faut en chercher, c'est à mon sens du côté d'une écriture quelque peu hachée, et d'un épilogue un peu balourd, qui vient avec de gros sabots rappeler le label "histoire vraie" que le film avait pourtant très bien réussi à dépasser jusque là. Étonnant, de la part de Bennett Miller, dont le Truman Capote avait parfaitement démontré le doigté unique pour contourner les difficultés du récit de faits réels et même les démasquer. Miller, pourtant, est ici bien plus à féliciter qu'à blâmer. Ses cadres se fondent dans le monde qu'il imagine autant qu'ils le construisent, tout en préservant comme un objet sacré l'intégrité des personnages et leur terrain d'expression. Le style parcimonieux, quasi-austère, du réalisateur américain, crée ici une forme d'écrasement maladif. Et sous cette chape, attirés par un centre au magnétisme obscur qui n'est pas, si on y pense bien, exactement superposé au personnage de John DuPont, gravitent trois destins individuels saisissants, dessinés par petites touches qui font progressivement surgir le cauchemar du rêve. Monstrueux, les personnages le sont autant par leurs maquillages (simiesques pour les deux frères, aquilin pour DuPont) que par les déformations qui paraissent les travailler. Monstrueux est aussi probablement le mot à employer pour qualifier le jeu de ceux qui se glissent dans leur peau. Ruffalo, second rôle de premier choix, allie une douceur bouleversante à une pincée de singularité presque imperceptible mais qui lui permet de réellement s'intégrer au trio. Tatum prouve qu'il est un vrai acteur, qui sait trouver chez son personnage douleur et névroses derrière une apparence maladroite et mal dégrossie, sans les rendre trop criantes. Carell, qui va droit vers l'oscar, livre un contre-emploi incroyablement subtil. Le jeu des trois, tant corporel que purement facial, achève de prouver qu'aujourd'hui à Hollywood, seul Paul-Thomas Anderson peut sans doute regarder Bennett Miller dans les yeux quant à la direction d'acteurs. Un grand film, le meilleur de l'américain jusque là. Le plus beau, c'est qu'une myriade de critiques presses m'ont parues fantastiques, et qu'aucune n'a le même angle d'analyse. La meilleure preuve de la richesse de Foxcatcher, dont la force tient à ce qu'il a su se rendre moins rigide que Truman Capote, sans pour autant perdre de son implacable rigueur. Ce qui n'est pas tout à fait la même chose.