L’équilibre entre le monde contemporain tel que nous le connaissons et le paradoxe de la matrice est rendu possible grâce aux frères Wachowski. Alors que le quotidien s’ouvre à peine sur la technologie connectée, ces derniers démontrent que chaque entité que nous sommes, fait partie d’un tout. Reste à savoir vers qui ou quoi va notre fidélité. Ce parallèle virtuel illustre l’ordre et l’équilibre théorique que l’humanité s’est efforcée à bâtir, puis à coder. Une série de contrôle et de directions prises par de simples caractères que nous tapons, constitue un langage unique et universel, pourvu qu’on la comprenne pleinement. Mais au-delà de cette utopie, l’instabilité technologique n’est que le prélude d’une catastrophe humanitaire.
S’évader, c’est aussi faire le point. « Matrix » fait l’objet d’une étude sur le contrôle et la volonté humaine. Son imprévisibilité fait de l’homme une victime, voire une tout autre entité vulnérable. C’est pourquoi, afin de pallier les risques d’échecs en tout genre, l’intelligence artificielle fut conçue. Cette IA est synonyme de la conscience humaine, sur des bases perfectionnistes et autonomes. Nous connaissons toute la thématique de cette trame, cependant si nous l’associons à de l’action, nous pouvons nous permettre de rendre ce discours plus divertissant et discutable. C’est le but premier des cinéastes, cherchant à interpeller l’intellect du spectateur, parfois trop formaté par des productions hollywoodiennes qui se vident de leur essence. On n’y invente rien, mais on réussit à sublimer des styles, qui trouvent une cohérence et une harmonie dans une épreuve de foi, une épreuve de vie.
Le décor est le premier appui face aux spectateurs perplexes. Il identifie la matrice non seulement par une forme quasi identique au monde occidental, mais également comme une identité vivante et omniprésente. Le contrôle de la vie est source de conflit, où pèse le tourment de victimes, conditionnées à ne pas dévier de leurs restrictions. Or, sans espoir, cette tragédie n’aurait aucun sens. Keanu Reeves l’incarne justement, sous le profil de Mr. Anderson ou encore Néo. Il se glisse dans la peau d’un lambda matriciel, en qui la vision des deux mondes qui s’opposent déterminera l’avenir de l’espèce humaine. Le mentor, l’amour, le désir, la liberté ou la cage cryptée sont des motifs qui viendront aiguiller notre visionnage, bercé par la furie des idéaux et par la folle trajectoire des balles. Il s’agit d’une fascinante fable, qui emprunte ses références au bout de notre nez, ou cachées quelque part dans nos souvenirs ou dans une brève discussion qui n’aurait pas connu son aboutissement.
De Platon à Nietzche, de la caverne à la désillusion prétendue, l’intrigue ne manque pas de nous interroger sur ce libre-arbitre, qui nous effraie et qui nous protège du pouvoir, dans un sens littéralement suggestif. Comment s’en défaire ? La réponse se trouve en grande partie dans la mise en scène, une sorte d’extension des passions et des vertiges des réalisateurs. Fous amoureux d’action, le wire fu viendra ridiculiser les agents de la matrice et proposera des moments forts, tournés avec la percussion graphique du cyberpunk et à l’aide d’une symphonie, qui donne encore plus d’élan aux ralentis, dont le célèbre bullet time. Il n’y a pas de constante ici, pas beaucoup de choix possibles non plus. On se limitera à deux pilules, une pour la vérité, l’autre pour un sommeil éternel. Mais ce choix n’est-il pas déjà biaisé par l’idée que notre dernier mot aura de l’importance ? C’est une invitation au réel, sans miroir, sans règles, sans frontières et sans limites, tout en gardant cette conscience éveillée, chose qui fonctionne rarement dans un discours métaphysique aussi frontal, mais dont la pertinence n’est pas en défaut dans ce contexte qui unit l’espèce humaine.