Le charme des avant-premières, c'est qu'on y va à l'aveugle, sans autre a priori que la lecture d'un pitch, la vision d'une bande-annonce ou la notoriété d'un réalisateur. Sachant que je n'ai vu aucun des deux films précédents d'Yvan Attal, que le synopsis et la bande-annonce me suggéraient une histoire quand même bien irréaliste (deux copains de toujours, hétéros confirmés, décident de tourner un porno gay par amour de l'art), je me demande encore ce qui m'a guidé vers ce film ; l'admiration pour le travail d'acteur d'Yvan Attal, sans doute, que j'avais beaucoup aimé dans les deux derniers films de Lucas Belvaux, "Rapt" et "38 Témoins". Mais, on le sait, les grands acteurs ne font pas forcément les grands réalisateurs.
Et bien, mon intuition s'est avérée justifiée, puisque ce "Do Not Disturb" est une des comédies françaises où j'ai le plus ri depuis bien longtemps (ce qui, j'en conviens, n'est pas très dur à trouver), sachant qu'en parlant de comédie, j'évoque immédiatement la définition qu'en donnait François Cluzet lors de sa présentation du film : "Une comédie, c'est une tragédie où on est ridicule". Car si on regarde ce film avec les lunettes d'un pessimiste dépressif, ce dont il nous parle n'est pas forcément drôle : le danger de l'absolu sincérité dans le couple, la douleur de se confronter au reflet de sa jeunesse à l'heure des choix adultes, la part d'amour frustré qui peut exister dans une amitié...
Contrairement à ses deux premiers films, Yvan Attal n'a pas écrit l'histoire originale, puisqu'il s'agit du remake du film de Lynn Shelton sorti en 2009, "Humpday", et qu'il est resté très fidèle au synopsis original même s'il a choisi d'étoffer le personnage de sa femme Anna, ce qui est cohérent avec le sujet de ses deux autres films. C'est ce défi qui l'a particulièrement intéressé : "Il n’était pas question pour moi de tout chambouler pour justifier le remake. Je voulais au contraire rester fidèle, en adaptant toutefois à la France. Malgré tout, il fallait que ce film devienne le mien et c’était un travail plus qu’intéressant de tourner le sujet d’un autre, de me l’approprier tout en répondant au cahier des charges des producteurs." Je n'ai pas vu le film de Lynn Shelton et je ne peux donc comparer, mais on sent la part personnelle d'Yvan Attal dans son traitement de l'histoire, ne serait-ce qu'à travers le personnage de Charlotte Gainsbourg, lesbienne agressive qui répond à la question de Ben "Qu'est-ce que tu fais dans la vie ? - Je vis."
François Cluzet expliquait à la présentation du film qu'Yvan Attal était un réalisateur attaché à la situation beaucoup plus qu'aux dialogues. C'est vrai en partie, car il y a une belle mécanique pour rendre crédible des situations improbables et créer des quiproquos, des basculements des scènes, voire des délires surréalistes, comme cette apparition jubilatoire de Joey Starr dans la cellule de garde à vue voisine de celle où Ben et Jeff dessoulent où il se met à chanter Dalida. Mais il y a aussi une force percutante des dialogues, du type "C'est Jeff ! Jeff qui n'était pas là au mariage !" quand Ben présente Jeff à Anna, ou "Tu fais la fête avec des gens qui n'ovulent même pas !", quand Anna reproche à Ben de l'avoir abandonnée pour aller faire la fête avec Jeff.
La réalisation se met au service de cette histoire embrouillée, avec une caméra mobile, une faible profondeur de champ, une photographie assez crue et un montage nerveux. Yvan Attal fait dire à Jeff : "Le rôle d'un artiste, c'est d'aller là où il a peur d'aller", et on comprend bien qu'il s'agit là d'une profession de foi, et que la scène de la chambre d'hôtel n'a pas dû être évidente à tourner. Mais cette prise de risque s'avère payante, et la qualité du film repose sur la capacité qu'il a à rendre une scène à la fois drôle et émouvante, comme celle où Anna révèle une aventure d'un soir après qu'elle ait été mise au couranr du projet des deux potes, lointain écho de la scène entre Nicole Kidman et Tom Cruise dans "Eyes Wide Shut".
Inutile de dire que les trois acteurs principaux sont excellents, justement dans leur capacité à jouer le tragique des situations comiques, et le choix de François Cluzet de préférence à un acteur "comique" s'avère particulièrement judicieux. Comédie ambitieuse mais accessible, "Do Not Disturb" est une des bonnes surprises de cette rentrée, notamment grâce à une dimension personnelle qui tranche avec le tout venant de la production française du moment.
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