Film éprouvant que La Frappe, dont la première scène -un lycéen tabasse l'un de ses ca-marades sous le regard, tant complice que gêné, de sa bande- expose le problème que le spectateur ne cesse, par la suite, de chercher à identifier. Cette petite frappe s'appelle Ki-Tae, et le problème réside tout entier dans son comportement, cette instabilité que manifestent suffisance et violence à l'égard des autres lycéens. Sauf que le réalisateur coréen Yoon Sung-Hyun, sans en dire beaucoup plus, parvient à complexifier son récit, non linéaire, à en extraire goutte à goutte des réponses connues depuis le début, mais qui ne deviennent évidentes qu'à la fin. Caméra à l'épaule, il procède donc à une véritable distillation, laisse le spectateur se perdre dans le temps, se perdre en conjectures : film manipulateur, et pourtant si vrai, que Bleak Night.
Dans un présent bien morne (bleak, en anglais), un père veut comprendre pourquoi son fils est mort. Il interroge ses meilleurs amis et découvre que l'un, Becky (Hee-Joon), a été transféré tandis que l'autre, Dong-Yoon, a définitivement quitté le lycée ; en outre, les deux garçons ne renouent que péniblement contact, à sa demande. Identifier la victime, s'agissant du même Ki-Tae qui, dans un passé développé en parallèle, se fait bourreau, permet alors de poser les bases de ce drame psychologique : le renversement des rôles et le partage de responsabilité qu'il implique. Celle, bien sûr, d'un père absent, qui ne se situe jamais dans la même temporalité que son fils -il n'apparaît dans aucun flashback-, mais qui tente à sa manière de lier passé et présent. L'impact, bien sûr, d'une amitié qui se délite, au point d'être niée par Becky et Dong-Yoon dans des termes aussi durs, sinon plus, que les coups qu'ils ont reçus et qui en constituent la raison.
Film éprouvant que La Frappe, parce que construit sur le non-dit, sur une succession de dialogues impossibles, d'explications jugées superflues ou trop difficiles à formuler, de personnages qui se taisent, partent au moment de parler. Et le spectateur de s'imaginer une situation tellement plus complexe, et Ki-Tae de ne pas mesurer la gravité de son comportement, celui d'un adolescent seul qui brutalise ses amis au point de les perdre un à un. Le réalisateur s'intéresse donc à la difficulté que rencontrent tous ses personnages à mettre des mots sur leurs maux, et à l'impasse dans laquelle cette difficulté les conduit. Le dénouement, ou le deuil, consiste dans deux superbes scènes qui, grâce au hors-champ, manient habilement le temps, Dong-Yoon ayant un pied dans le passé et un pied dans le présent.