SQUAT : LA VILLE EST A NOUS! est un film dont on ressort joyeux, enthousiaste mais aussi lucide. On est loin des clichés: ici, pas de paumés, pas d'alcooliques, pas de junkies ni de fusion hippie mais des individus responsables, propres et sociables, qui font le pari d'une reconquête de leur ville, par le droit au logement, en s'attirant la bienveillance voire le soutien de leurs voisins. En effet, l'appétit commercial cherche à balayer les classes populaires. C'est l'histoire d'un apprentissage de l'action autonome, de la mobilisation de quartier et de la résistance aux forces de l'ordre. Si vous pouvez le dénicher, lisez le journal édité pour sa sortie (2/11/11), qui compte 8 pages super éclairantes, comme page 7, "Squatter la ville pour changer la vie" ou page 2, l'analyse du chercheur en socio Jean-Pierre Garnier. Christophe Coello, co-réa des dyptiques de Pierre Carles, se fait as du doc dénonciateur et des populations en lutte. Le montage, à quatre mains, aboutit à un film efficace, riche et dynamique. Donc ça se passe à Barcelone, ville habituée aux luttes révolutionnaires, où l'on va suivre l'action d'un groupe autonome d'origine pacifiste, constitué d'une trentaine de filles et garçons (équilibré), qui a décidé de militer dans l'esprit anarchiste du début du XXe siècle, à savoir sans autoritarisme ni hiérarchie, hors institutions, dans le sens d'une réappropriation de la politique et de l'espace public par l'auto-gestion, la résistance radicale, par l'action spectaculaire anti-militariste et anti-capitaliste, et par la création de liens de solidarité avec les riverains via l'organisation de manifs et d'événements festifs, drôles, dirigés en particulier contre la spéculation immobilière et l'association scandaleuse de ses acteurs privés aux pouvoirs publics. Le doc, filmé «de l'intérieur», se centre sur la vie et l'action de MILES DE VIVIENDAS, un collectif qui a réussi à s'établir en «okupa» (squat) entre 2003 et juin 2007 (année d'expulsion finale: affrontement filmé à chaud!). La plupart de ces gens (plutôt jeunes, soutenus par des plus âgés), en rupture avec la logique salariale, mettent l'action collective à la première place, tout en y associant la réflexion, les questions sociales et l'humour. Situé avant la crise de 2008 et la baisse de pression des spéculateurs immobiliers, le contexte restait difficile, mais face aux tentatives de récupération politique ou de domestication de la lutte, pas question de céder («céder un peu, c'est capituler beaucoup»)! On aurait aimé une meilleure liaison avec ce qui s'est passé ensuite avec la crise en 2008-2010. En tous cas, cette fin n'est pas considérée comme un échec en soi (l'expérience valait la peine) mais les acteurs de MILES reconnaissent qu'ils ont échoué à mettre en commun leurs moyens: le groupe n'est pas parvenu à passer au stade de la coopérative, il s'est désagrégé faute d'organiser un réel financement collectif. Si d'autres okupas ont tenu plus longtemps, celle-ci apporte au film une légèreté plus individuelle, l'unité de son expérience ainsi qu'un regard nostalgique. Barcelone, qui compterait encore plus de 150 squats, jouit d'une relative clémence comparé à la dure répression qui a surgi ailleurs (à Paris, Rouen, Grenoble, Marseille, Amsterdam, Copenhague... comme on a pu l'observer). Il faut dire qu'ici, la résistance s'établit souvent à l'échelle du quartier. Un nouveau souffle a, en 2009, impulsé des actions, des assemblées de quartier (comme à la Barceloneta, friandise convoitée), et le mouvement d'occupation en mai 2011 place de la Catalogne (en épilogue), a permis d'amplifier la prise de conscience chez les gens de cette nécessité de se réapproprier la politique. Cependant, la vampirisation immobilière et l'austérité économique continuent à faire des ravages. Avec les habitants des quartiers, la résistance continue à mobiliser, en particulier contre les promoteurs immobiliers qui poussent à l'expulsion, contre les «revalorisations-reconquêtes-requalifications-réhabilitations» urbaines qui ne sont que le masque des opérations de rentabilisation obsessive, contre le «concept» d'une ville-centre gentrifiée, expurgée de ses classes modestes et transformée en espaces écolo-intello-bobo pour bourgeois, privilégiés et touristes. Quand rénover c'est déporter et aseptiser, c'est la précarisation qu'on accentue et l'âme populaire de la ville qu'on détruit. Un doc énergétique; dommage pour l'issue.