Il faut distinguer le fond et la forme dans ce film. Alors, parlons d’emblée de ce qui fâche, donc de la forme. Le parti pris artistique du réalisateur Pablo Larrain est de filmer comme s’il le faisait avec un caméscope de l’époque. C’est un parti pris que je peux comprendre, par souci d’authenticité et pour privilégier le fond à la forme là où tant font l’inverse. Soit… Mais reconnaissons le, cela donne un des films aux images les plus laides que j’ai jamais vues : plans surexposés, cadrages incertains, mouvements de caméras un peu hésitants et couleurs surannées, n’en jetez plus ! Cela va surement en rebuter certains, parce qu’il faut un bon moment pour s’habituer à ce style « cheap » qui détonne dans la production des années 2010. Mais si on s’attache au fond, en prenant son parti de la forme, alors on tombe sur un petit bijou, comme quand on trouve une pépite d’or dans la vase. Sur le fond, donc, je n’ai pas décroché une seconde tout au long des deux heures de films. Et même quand on sait comment cela fini, on se laisse emporter par l’enthousiasme de ce jeune publicitaire. Avec professionnalisme (et avec une larme de cynisme peut-être aussi), il va appliquer les règles marketing de la publicité au service d’un « produit » : la démocratie. Il doit d’abord convaincre les leaders de l’opposition avant de convaincre les électeurs, et dans le contexte de souffrance de l’époque, c’est déjà un premier écueil de taille. Pendant que le patron de l’agence qui l’embauche dirige officiellement la campagne du « oui », lui met en œuvre la campagne du « non » plus ou moins clandestinement. Sa conscience politique, sur laquelle on peut s’interroger à plusieurs reprises, semble s’affirmer au fur et à mesure que la campagne prend forme et que tout le monde commence à y croire alors qu’en face, on commence à douter. Gael Garcia Bernal l’incarne parfaitement, comme l’ensemble du casting par ailleurs. Là où je trouve le scénario intéressant, c’est qu’il n’est pas aussi binaire qu’on aurait pu le penser. Bien-sur, il a les bons et les méchants et un parti pris affirmé, c’est la moindre des choses sur ce sujet mais… mais rien n’est toujours tout blanc ou tout noir. J’en prends pour preuve une des scènes les plus dérangeantes,
la scène dans le commissariat où René Saavedra a besoin que son patron fasse jouer ses relations avec le pouvoir pour faire libérer son ex-femme, et il est des mains qui doivent être très pénibles à serrer, mais par la force des choses on les serre quand même.
En résumé « No » est un film intelligent et nuancé, qui amène à la réflexion (sur la politique, sur la publicité et l’étrange commerce entre les deux), qui fait œuvre historique aussi, un film que je vais audacieusement qualifier d’enthousiasmant.