Un angle original pour une histoire unique dans l'Histoire : le renversement d'un dictateur par le biais, en partie, d'une campagne de com' rompue aux techniques les plus vendeuses de la publicité. Ou comment vendre la démocratie comme on vendrait un soda. Le film expose intelligemment, au début, les enjeux et les paradoxes d'une campagne qui va miser moins sur des arguments politiques (dénonciation des enlèvements, des tortures, des atteintes à la liberté d'expression...) que sur un concept publicitaire simple, généraliste, fédérateur. En l'occurrence : l'avènement de la joie, avec ce qu'il faut d'humour, de séduction, de slogans et de jingles impactants.
Pour coller à l'ambiance de l'époque, pour en restituer l'authenticité, Pablo Larraín a eu la bonne idée de tourner son film avec une caméra des années 1980. Du coup, les prises de vue réelles ont une patine "vintage" qui se marie parfaitement avec des images d'archives intégrées au récit, pour un résultat formel à la fois insolite et cohérent. Le montage est excellent : habile et misant sur un rythme soutenu pour rendre le récit captivant d'un bout à l'autre. Globalement, No est ainsi le film le plus "regardable" du cinéaste, loin d'une certaine complaisance dans le glauque et le sinistre qui caractérise ses premiers films (notamment Tony Manero et Santiago 73), le sujet même réclamant ici, évidemment, une posture plus alerte et "joyeuse".
Mais la principale réussite du film réside dans ce qu'il dégage en matière de sentiments contradictoires liés à cet épisode de l'histoire chilienne. Au-delà de la dimension galvanisante du récit de la conquête de la liberté et de la mise en scène amusante qui témoigne du pouvoir du langage à donner confiance et courage, il y a là quelque chose de très amer, voire pathétique, dans cette variation sur le combat politique moderne, qui consacre finalement la suprématie d'une stratégie de com' de masse sur le discours idéologique et politique, vaguement impuissant à convaincre les foules. Considération amère également sur la réelle motivation "révolutionnaire" d'un peuple. Il y a enfin beaucoup d'ironie à montrer qu'un système politique ayant introduit l'ultralibéralisme, sous l'influence des États-Unis, est renversé par l'un des vecteurs de promotion de cet ultralibéralisme. Ce sont, au final, autant de tonalités et de noeuds complexes qui font la richesse du film.