Beetlejuice Beetlejuice est à l’image de Las Vegas, soit un temple du vice et du factice où toutes les postures, tous les décors et tous les êtres qui y déambulent sont faux. Tim Burton inverse la logique de transition qui était celle du premier opus : le générique d’ouverture part de plans zénithaux captés dans une small town pour soudain les redoubler par la maquette au sein de laquelle vit
le démon
, avant de retrouver la prise de vue réelle ; un tel balbutiement, de la réalité à la réalité en empruntant le chemin de la fiction, définit son geste comme empêché, écartelé entre l’irrévérence crasseuse de son trublion et le cahier-décharge publique de la maison Warner Bros. En résulte un film tour à tour commercial et indépendant où le bizarre côtoie le convenu, où la bizarrerie facile fréquente un convenu exhibé dans ses apparences trompeuses –
la chute de vélo, la cabane où se cache l’adolescent en marge de la société et de ses parents
… ridicule puis ridiculisé !
Car Burton prend un plaisir cynique à se jouer des attentes et conventions des productions contemporaines, perturbe la linéarité de son récit par une écrite de la saynète – mal gérée, d’ailleurs, occasionnant un montage qui jamais ne signifie, mais peut-être est-ce concerté ? – pour mieux rendre hommage au cinéma bis, de Mario Bava aux polars musclés. Il exacerbe l’opposition entre la réalité woke et arty, composée de performances, de sneakers Veja, de véhicules électriques et de vinyles chinés dans des brocantes et non commandés sur internet, et la fantaisie d’un artiste aussi proche de l’expressionnisme que de la Trauma, cultive le mauvais goût et accepte les fausses notes, les écarts de conduite, cède même aux diktats du catalogue Warner qui, depuis quelques années maintenant, conçoit ses productions comme autant de supports publicitaires (Rebel Without a Cause, Bonnie and Clyde et d’autres sont évoqués explicitement).
Reconnaître donc en Beetlejuice 2 une œuvre de qualité serait adhérer au groupe d’influenceurs qui, aveuglés par leur écran respectif, finissent par s’y réincarner ; cette suite est un trompe-l’œil auquel se leurrera un public incapable de mobiliser son esprit critique et ignorant les règles de l’industrie hollywoodienne. Soit un luxueux navet, sans âme ni émotion, gouverné par l’argent – dixit Rory, le fiancé vénal –, concession et génuflexion d’un artiste devant un maître qu’il mine de l’intérieur et dont il extrait des entrailles
une progéniture cannibale
, mais sans intelligence aucune, de sorte à ne surtout pas ajouter de plus-value. Autrement dit, une entreprise baroque de sabotage volontaire suscitant déception et divertissement sadique.