Les critiques souvent assez dures qui avaient accueilli la projection à Cannes ne m'avaient pas laissé envisager que je verrai un si bon film. J'ai en effet beaucoup aimé l'histoire complexe de Michael Kohlhaas, filmée avec beaucoup de rigueur et de justesse par Arnaud des Pallières, qui refuse toute facilité pour arriver à une œuvre qui donne à penser.
Dans les beaux et rudes paysages des Cévennes du XVIème siècle, Michael Kohlhaas est un homme prospère et heureux, puisqu'il a tout pour l'être: la sécurité d'un amour partagé, avec une femme et un enfant, une aisance matérielle et une activité dont il est fier, avec l'élevage de magnifiques chevaux. Kohlhaas est un homme libre, qui vit selon ses convictions protestantes et qu'on imagine plutôt privilégié dans un monde que l'on devine difficile. Mads Mikkelsen prête magnifiquement ses traits, forts et harmonieux, à ce personnage avec lequel il fait corps.
Jusqu'au jour où Michael Kohlhaas est victime des agissements malhonnêtes d'un petit baron local: deux de ses chevaux sont abîmés et un de ses valets est méchamment rossé. A compter de cet événement, le marchand de chevaux, qui menait jusque là une vie paisible, ne va cesser de tout mettre en œuvre pour réclamer justice, quel qu'en soit le prix, allant jusqu'à déclencher une guerre.
Arnaud des Pallières mène son film comme Kohlhaas mène sa quête: sans varier, sans jamais s'éloigner de son objectif. Il s'attache sans fioriture et sans effet aux pas de son personnage, ce qui a pu faire prononcer le mot ennui à certains. Il est vrai que durant les deux heures du film, l'esprit vagabonde parfois, mais Arnaud des Pallières sait toujours capter à nouveau l'attention de son spectateur et je dirais même davantage: il lui laisse la liberté de réfléchir.
Car enfin, quelle est réellement la motivation de Kohlhaas ? La justice, l'orgueil, le fanatisme ?
Et que penser de lui ? Bien sûr, sa quête de justice touche, car sur le fond, il a totalement raison, dramatiquement raison. Mais une fois encore que penser d'un homme prêt à mettre tellement dans la balance: sa famille, ses amis, son existence toute entière et même les innocents qu'il entraîne, des Don Quichotte ventripotents chevauchant des bidets fatigués ?
Kohlhaas émeut autant qu'il terrifie; car au final lui seul est comptable du sang qui est versé à profusion et qui jamais ne l'arrête.
Kohlhaas n'est ni pragmatique, ni politique, adjectifs à la connotation souvent négative, et pourtant, s'il l'était davantage ! Ces aspects apparaissent d'ailleurs nettement lors du face à face entre le marchand de chevaux et la princesse, Marguerite de Navarre, qui est, elle, politique jusqu'au bout de ses jolies mains jointes. Il s'agit d'un personnage magnifiquement abouti en une seule scène, interprété avec maestria par Roxanne Duran, une jeune comédienne de 20 ans qui m'a époustouflée.
De par sa droiture inflexible, Michael Kohlhaas est au final un homme incroyable, dont les dernières larmes gardent tout leur mystère. Un homme d'exception, qui donne vraiment envie de célébrer les hommes ordinaires.