Le matériau de base (un sinistre fait divers, l'affaire Lhermitte : un quintuple infanticide arrivé en Belgique en 2007) est ici retravaillé (c'est toute la famille du mari qui est sous l'influence de l'étrange "Dr Pinget" dans le film, grâce à un entrelacs d'unions fantoches, accompagnant le seul vrai mariage, celui de "Murielle" et "Mounir") simplifié (sur le rôle en particulier du psychiatre de la meurtrière) et filmé avec une rare sobriété - pudeur et efficacité (la scène attendue des meurtres est ainsi suggérée - et commentée par la mère criminelle, qui prévient elle-même la police, en « off » - ce qui en accentue le poids et la résonance de manière autrement plus forte qu'un déballage gore). Sous les plumes des spectateurs qui ont apprécié le film (comme sous celles des "pros" de la critique dans les mêmes sentiments), la performance des 3 protagonistes est unanimement soulignée, et avec raison (Emilie Dequenne, dont l'art culmine dans la séquence "Femmes, je vous aime", livrant avec économie la clé d’un désarroi sans nom, qui annonce le pire, Tahar Rahim et Niels Arestrup, à nouveau ensemble à l’écran, le premier pauvre type manipulé, le second ambigu à souhait, à la fois père et grand-père par procuration, mais aussi animé de sentiments bien moins nobles à l’endroit de ce garçon veule qu’il a pris sous son aile et emmené en Belgique quand il n’avait que 10 ans et dont il pilote la vie depuis lors à sa convenance : trois beaux talents), mais les seconds rôles sont également soignés, celui en particulier de Rachida, qui a seule su apprécier l’ampleur du mal-être de sa belle-fille, avec laquelle elle communique par empathie uniquement, puisque les deux femmes ne parlent pas la même langue (scène magnifique du bain de mer au Maroc, et adieux poignants à l’aéroport avec Murielle qui ne quitte plus le caftan qu’elle lui a offert). Le rythme est volontairement lent, mais une fois apprivoisée, cette cadence amortie qui accompagne la suite de petits riens qui fait le quotidien de la jeune femme, l’étouffant et l’aliénant à petit, puis grand feu, fascine, et on se laisse gagner par la construction implacable d’un malheur dont on sait tout dès les premières images, mais dont la radioscopie envoûte peu à peu. Joachim Lafosse, que les sujets délicats ne rebutent décidemment pas, confirme et amplifie l’intelligence et le savoir-faire d’« Elève libre », son précédent opus (2009).