C'est l'histoire d'une femme qui se noie -et nous, spectateurs, sur le bord, on crie: mais faites quelque chose, enfin! Quatre enfants en si peu de temps, vivant dans une solitude intellectuelle et morale extrême, troisième personnage inserré dans un faux couple, faux père /faux fils, Murielle est tombée insensiblement dans une dépression telle qu'elle ne peut s'en sortir que par la mort -la sienne et celle de ses enfants. Mais, comme cela arrive souvent dans ce genre d'histoires, c'est sa propre mort qu'elle rate. Emilie Dequenne est fantastique. On la voit, littéralement, se déliter sous nos yeux.
Pourtant, au début, tout partait très bien. Certes, Murielle n'a pas de famille, à part Françoise une soeur du genre grande gueule et pieds-dans-le-plat; certes, on se rend vite compte que son chéri, Mounir (Tahar Rahim) est colèreux, velléitaire et, au final, pas très courageux. Il vit chez son parrain, le docteur André Pinget, qui l'a adopté. Le jeune couple va donc tout naturellement s'installer chez lui, et si Murielle est prof de français, Mounir préfère arréter ses études et servir de secrétaire à Pinget.
Le mystère du film, c'est: quelle est la nature des liens qui unissent André et la famille marocaine de Mounir? Il a épousé sa soeur ainée, pour lui permettre de travailler en France, et Françoise, bonne fille, va même à son tour contracter un mariage blanc avec le frère de Mounir. En tous cas, le grand spécialiste des rôles de salaud, Niels Arestrup, est prodigieux: juste, sans excès. Juste juste!
Généreux, très présent (il s'occupe très bien des petites filles qui l'adorent), André va complètement phagocyter le couple. Il en régit la vie et, le jour où les jeunes ont une velléité de déménager, son chantage est implacable. Finalement, Murielle n'a plus la force de travailler; en se mettant en arrêt de maladie, elle rompt les dernières chances de s'extraire de ce milieu familial mortifère. Elle n'est heureuse qu'au Maroc, dans sa belle famille, dans une cahute au bord de mer; elle s'imagine que, s'ils partaient s'installer au Maroc, tout redeviendrait bien; elle traîne dans la djellaba que sa belle mère lui a offerte; elle touche le fond. Niée par le couple masculin, traitée en enfant capricieux par André, elle n'a plus sa place, ni là, ni ailleurs.
Je me souviens d'une très belle mise en scène de Dialogues de Carmélites, où chaque religieuse, à l'appel de son nom, disparaissait, montant vers la guillotine invisible. De même, Murielle appelle ses enfants un par un; un par un, ils disparaissent, montant vers cette chambre d'où ils ne sortiront plus vivant. C'est filmé avec extrêmement de pudeur et de délicatesse. Le film de Joachim Lafosse est un beau film.
Bonne rentrée cinématographique, n'est ce pas? Vous pouvez oublier les cocotiers!