Foyer d’une certaine contre-culture aux États-Unis qui de Seattle à Portland nous a notamment légué Nirvana et Gus Van Sant, le Northwest américain est logiquement le théâtre du dernier film de la jusque-là discrète Kelly Reichardt. Si Night Moves n’est certes pas vraiment, ou pas complètement, un film militant, on y retrouve néanmoins un certain engagement dans la forme, qui dit aussi quelque chose sur la face alternative de l’oncle Sam.
J’aurais aimé que Night Moves ne dure qu’une heure, ça m’aurait permis d’écrire une critique parfaitement élogieuse et sans aucune ambiguïté, ce qui aurait été cool parce que les ambiguïtés compliquent tout, même mon travail. Tant pis.
Pendant une heure durant donc, jusqu’au fameux attentat (ça n’est pas vraiment un spoiler puisqu’on comprend tout cela au bout de 2 minutes, je ne suis pas vicieux à ce point), Night Moves est en effet d’une maîtrise assez impressionnante, et plus important encore d’une étonnante cohérence entre sa forme et le discours porté à l’écran.
Faussement simple, faussement lent, l’œuvre de Kelly Reichardt est en réalité très habilement réalisée et parfaitement rythmée, le séquençage du film nous emmenant inexorablement vers la violence de l’issue finale tout comme ses héros semblent pris au piège de leur propre projet, incapables de freiner sous peine d’exploser en vol. Il y a dans cette économie de moyens complètement réfléchie au fond quelque chose de l’écologie de combat de ces trois activistes, l’absence d’artifices, d’une musique trop présente ou de dialogues trop verbeux laissant toute la place à l’événement central, seul sujet du film : l’attentat.
La réussite de Night Moves est alors de parvenir à complètement se centrer sur la tension menant à l’explosion finale, autant perceptible dans la crispation physique de ses anti-héros que dans le refus de s’attarder en route cinématographiquement parlant, Kelly Reichardt évitant à peu près toute digression ou scène à rallonge, soulignant ainsi la fatalité des événements. Ce suspense au sens littéral du terme, qui force le spectateur à constamment réfléchir à ce qui va arriver après alors qu’il est encore dans le pendant, est aussi rendu possible par une direction d’acteurs très intelligente, aucune « performance » gratuite ne venant se mettre en travers de l’unique objectif enjeu du film : contempler le calme avant l’explosion. Le thriller à l’état pur, là encore au sens littéral du terme.
C’est aussi parce que Night Moves est pendant une heure d’une intransigeance formelle totale qu’il captive autant, le regard pénétrant d’un Jess Eisenberg décidément au-dessus du lot dans l’industrie actuelle n’étant pas non plus pour rien dans ce tour de force. Complètement en accord avec les actes de ses héros, la réalisation de Kelly Reichardt semble en cela presque épouser leur cause, parvenant progressivement à hypnotiser le spectateur qui finit par se persuader qu’il va lui aussi aller faire sauter des barrages dans l’arrière-pays de l’Oregon et sauver les saumons de l’exploitation capitaliste.
Il aurait finalement été formidable que Night Moves se clôture quelques instants seulement après le grand fracas, et peu importe d’ailleurs avec quelle morale ou tentative de morale. Mais pas la peine de le déplorer plus longuement puisque Kelly Reichardt était de toute façon enchaînée à un texte, celui du livre The Monkey Wrench Gang ayant inspiré son film.
Peu importe que le film respecte le livre, ça n’est pas le sujet et je m’en fiche de toute façon éperdument puisque je n’ai pas lu le livre, mais forcé de constater, c’est mon sentiment en tout cas, que Night Moves finit par traîner en longueur dans une dernière partie qui n’est certes pas totalement inintéressante mais bien moins captivante, voire presque prévisible. Le retour à une classique étude des sentiments n’apporte en effet pas grand-chose à un film qui avait déjà largement trouvé sa raison d’être dans sa première partie, et finit par diluer toute l’audace de ses débuts dans un récit et une réalisation plus convenues. Si aucune faute de goût n’est proprement à déplorer, il ne s’agit pas là de parler de raté, quelque chose de la subtilité semée pendant une heure s’égare un peu en chemin et laisse finalement une impression mitigée une fois le véritable dénouement intervenu, ce qui est aussi dommage qu’injuste pour une œuvre qui ne mérite quand même pas cette forme de cruauté.
Mais Night Moves aurait pu être un des chefs d’œuvre de l’année et n’est sans doute au final qu’un assez bon film, et c’est là son plus grand crime, qui prouve décidément que tout est relatif et que l’on n’est jamais aussi dur qu’avec les gens qu’on a le plus aimé.