Si la nuit s'avance quelque part, c'est bien sur la filmographie de Kelly Reichardt, qui en plus d'avoir considérablement revu ses ambitions à la hausse depuis ses débuts, injecte à chaque fois un peu plus de désespérance (ou un peu moins d'espoir, c'est selon) dans ses relectures sociales et idéologiques sur les Etats-Unis, bien au-delà de son Oregon natal qu'elle s'applique pour la troisième fois à filmer. Ce qui frappe tout d'abord dans la première partie de ce "thriller" en deux temps, c'est une nouvelle fois (après La dernière Piste pour le western) la capacité de l'américaine à figurer puis défigurer les piliers d'un genre avec une incroyable retenue. Ici, elle met en place son suspense à travers des situations anodines, jouant à merveille de l'état nerveux de ses personnages, qu'on sent, par la mise en route d'un rythme vaguement étiré, comme si le ressort se tendait avant de lâcher, disposés sur une ligne verte dès les premiers plans. A travers cette partie de l'intrigue commence déjà à se dessiner une réflexion éthique sur l'activisme sous toutes ses formes, qui paraît dans un premier temps légère mais qui s'épaissit ensuite très nettement. C'est au moment où elle atteint cet acmé que le film bascule définitivement vers sa deuxième partie, nettement plus psychologisante, plus riche aussi. Ce qu'on regrettera pourtant de ce deuxième acte, c'est que si contrairement au premier, il bifurque avec réussite vers des voies de réflexion multiples, dont on remarque le tracé sans pour autant s'y repérer, il perd en influx, en impact direct, ce que savait si bien amener Reichardt dans la préparation de l'attentat. Heureusement, le film garde son équilibre grâce à une ambiance prégnante, qui dessine un monde de fantômes vers lequel basculent de plus en plus nettement les personnages. Il n'y a qu'à voir l'étonnante matérialité des corps nocturnes, ou leurs visages luminescents qui se détachent nettement dans l'obscurité, pour sentir l'entremêlement du jour et de la nuit. Une façon dépressive de signifier potentiellement bien des choses, sans que Kelly Reichardt, en auteure intelligente qu'elle sait demeurer, explicite clairement ses vues sur les différentes questions qu'elle soulève. Quant à moi, je me garderai cette fois d'une interprétation, pour simplement conseiller à quiconque n'est pas trop réfractaire à un rythme alourdi de s'essayer à cette oeuvre riche, trouble et aboutie.