Il faut le dire et le répéter, il existe un cinéma indépendant aux Etats-Unis, un cinéma qui ne sacrifie pas aux modes, qui ne cherche à plaire ni par de l'esbroufe ni par des effets spéciaux à foison. Kelly Reichardt fait partie de ces cinéastes qui creusent leur sillon et marquent de leur empreinte chacun de leurs films. Après avoir évoqué la vie de colons traversant, en 1845, le désert de l'Oregon dans « La Dernière Piste », la réalisatrice s'empare d'un sujet bien contemporain dans ce nouvel opus, mais en restant fidèle à son style, un style qui ne cède jamais au sensationnalisme.
Ce que Kelly Reichardt s'attachait surtout à montrer dans « La Dernière Piste », c'était les gestes quotidiens, les tâches à accomplir et la monotonie des jours qui passent. Ici, alors qu'il est question d'un événement rare, la destruction d'un barrage hydroélectrique, elle choisit de ne montrer que l'avant et l'après de la catastrophe sans rien filmer ni de l'explosion ni de ses conséquences directes.
Ce qui intéresse la cinéaste, ce ne sont pas les scènes à sensation, mais les personnages, leur motivation et leur évolution. Dans « Night moves », nous avons affaire à un groupe de trois activistes écolos bien déterminés à employer les grands moyens pour se faire entendre. Ils fomentent donc un attentat visant un des barrages de l'Oregon. Pour parvenir à leurs fins, il leur faut un bateau bourré d'explosifs et des véhicules pour prendre la fuite. La réalisatrice suit de près les préparatifs, les tractations nécessaires pour acquérir ce dont ont besoin les personnages et ainsi nous les faisant découvrir avec de plus en plus de précision : Josh (Jesse Eisenberg), le plus introverti et le plus énigmatique du trio, Dena (Dakota Fanning) et Harmon (Peter Sarsgaard).
Leur forfait accompli, tous trois ont décidé de se séparer et de ne plus communiquer entre eux afin de ne pas attirer les soupçons. Mais sait-on d'avance ce que l'explosion d'un barrage peut occasionner, quels dommages, quels drames peuvent en découler ? Les trois terroristes écolos risquent fort de se trouver pris à leur propre piège et entraînés sur des chemins qu'ils n'imaginaient pas. Si Harmon semble rester déterminé et impavide, il n'en est pas de même pour Dena, déstabilisée par les conséquences tragiques de l'acte accompli. Quant à Josh, malgré son air impénétrable et son apparente froideur, la réalisatrice réussit à nous suggérer à quel point ce qui s'est passé le trouble de plus en plus, installe en lui la peur et lui fait commettre une nouvelle fois l'irréparable.
En fin de compte, une nouvelle fois, comme dans chacun de ses films, Kelly Reichardt, maîtrisant parfaitement l'art de la mise en scène, réussit à passionner le spectateur sans jamais lui imposer les scènes que beaucoup d'autres cinéastes considéreraient comme le fleuron obligatoire de leur film. Inutile de montrer l'explosion d'un barrage et des torrents submergeant les terres, il suffit de scruter les gestes et de sonder les visages, même les plus fermés comme celui de Josh, et l'on est captivé ! 7,5/10