C’est peu dire que je n’attendais rien de cette énième adaptation du mythe de Frankenstein qui a été plus que malmené ses dernières années sur grand écran ("Van Helsing", "I Frankenstein"… voir même le "Frankenstein" de Kenneth Brannagh en 1994). La bande-annonce laissait augurer un ersatz de spectacle opportuniste se voulant plus spectaculaire que profond, ce qui est bien mal connaître le roman de Mary Shelley. Et, pourtant, pour peu qu’on oublie le roman d’origine et les films légendaires d’Universal et de la Hammer (qui s’étaient déjà bien affranchi du roman mais qui ont iconisé le mythe), je dois admettre que j’ai été plutôt agréablement surpris par ce "Docteur Frankenstein" qui, première qualité, a le bon goût de ne pas reprendre la confusion habituelle entre le monstre et son créateur. Il faut dire que le héros du film est bien Victor Frankenstein et c’est là toute son originalité… même si les "Frankenstein" de la Hammer s’inscrivait déjà dans cette logique. "Docteur Frankenstein" pousse, cependant, la logique plus loin puisque
la Créature n’apparaîtra qu’à la toute fin de l’histoire
et, autant le dire tout de suite, sera le point noir du film tant
elle apparaît désincarnée et fongible
. Le dernier tiers du film est, d’ailleurs, dans l’ensemble, franchement en dessous puisque l’intrigue se laisse, alors, aller à d’invraisemblables facilités scénaristiques (
la tentative d’élimination d’Igor, la quête du policier, le sort de la créature, le happy-end
…) et à une surenchère dans le spectaculaire un peu toc qui fait tâche avec tout ce qu’on a vu jusque-là. Car les deux premiers tiers du film sont, à quelques exceptions près (
une utilisation maladroite du ralenti pour styliser la fuite du cirque, la "guérison" éclair d’Igor et son inconcevable agilité, la chasse au singe-monstre qui aurait pu être mieux travaillée, des effets spéciaux parfois un peu inutiles entravant l’immersion du spectateur
…), s’avèrent presque remarquables dans le soin apporté aux personnages secondaires (Andrew Scott en policier bigot, Freddie Fox en mécène amoral, Charles Dance en père froid… mais pas vraiment Jessica Brown Finlay qui hérite d’un rôle bien faible de potiche amourachée), mais, surtout, aux deux têtes d’affiches. Les scénaristes ont, ainsi, eu la bonne idée de faire raconter l’histoire par Igor (Daniel Radcliffe, plutôt pas mal) qui, non seulement, permet de donner un référent au public puisque le personnage découvre, en même temps que lui, les travaux du bon Baron, mais qui s’avère, également, d’une intéressante dualité puisqu’il se retrouve tiraillé entre une reconnaissance bien légitime au vue de la nouvelle vie qu’il lui a offerte et une morale qui le pousse à s’opposer à lui. On pourra toujours regretter que l’écriture du personnage n’ait pas été un peu plus poussée, notamment au niveau de son passé et de ses conséquences (
la facilité avec laquelle Igor s’adapte à une vie sociale bourgeoise alors qu’i a passé sa vie comme bête de cirque maltraité est franchement too much.. alors que ces brimades passées auraient pu justifier une certaine méfiance qui aurait pu être exploitée).
Ce refus d’aller trop loin dans la complexité du personnage s’explique, sans doute, par le fait qu’il y a déjà un personnage complexe et fascinant dans le film, à savoir Victor Frankenstein. Il paraissait, pourtant difficile de raconter quelque chose de nouveau sur le personnage, tant sa folie destructrice et son aveuglement ont déjà été porté à l’écran et campé par de grands acteurs (Colin Clive et Peter Cushing en tête !). C’est sous-estimé le décidément extraordinaire James McAvoy, qui prouve, une fois de plus, qu’il transforme tout ce qu’il touche en or… y compris les rôles peu écrits. Son Frankenstein est, ici, littéralement dévoré par son ambition et sa folie intérieure (ainsi que par une volonté de reconnaissance paternelle évoquée au détour d’une scène) et il en offre un portrait formidablement flamboyant (rarement le personnage n’aura paru aussi charismatique) mais, également dépourvu de scrupule qui peut passer d’un sourire plein de bonté à une colère terrifiante, avec la même sincérité. La dualité du personnage, qui ne craint jamais de paraître antipathique mais qu’on ne peut pas tout à fait détester, est, donc, au centre de l’intrigue et laisse présager du meilleur… pendant les deux tiers du film donc. Une fois encore le dernier tiers vient considérablement affaiblir la portée de "Docteur Frankenstein", qui avait tout pour être l’une des bonnes surprises de l’année et qui, finalement, doit se contenter du statut du divertissement plutôt réussi. C’est déjà pas mal pour une adaptation qui devait être une catastrophe…