Je ne cache pas que j’étais impatient de voir le nouveau film de Zhang Yimou, cependant après la douche froide du triste "The Assassin" de Hsiao-Hsien Hou, je ne pouvais m’empêcher d’avoir tout au fond de moi une légère peur. Heureusement mes doutes s’estompèrent dès les premières secondes du métrage : devant mes yeux apparaissaient de superbes plans larges dévoilant des décors naturels somptueux, le relief et les couleurs du désert de Gobi me transportant directement loin de ma salle de cinéma. Le « Yimou Style » est bien présent, et je suis d'ores et déjà sûr de profiter d’un spectacle à l’esthétique visuelle remarquable. Et effectivement, au niveau spectacle, on en prend plein les mirettes : les paysages sont sublimes et l’énorme décor solide à l’ancienne de la Muraille est vertigineux. Les armures sont stylisées et magnifiques (la patte WETA), où chaque escouade possède sa couleur propre, donnant à l’écran un incroyable balai visuel digne d’une peinture de grand maître prenant vie (et non, comme j’ai pu le lire dans des critiques de journalistes ayant une connaissance de la culture asiatique proche du néant absolu, un « hommage puérile aux anciennes séries kitschs type Bioman »…Coluche disait que « Quand on en sait pas plus que ça, on a qu’à fermer sa gueule », voyez : c’est toujours d’actualité !!). Comme à son habitude, Yimou parvient à poser entre deux scènes d’action des moments paisibles, emprunt d’une certaines poésie :
le lâché de lampions dans le ciel pour accompagner le décès du général
est à la fois mélancolique et poignant ! Et puis il y a justement les fameuses séquences d’actions : les assauts des Tao Tei contre la Grande Muraille sont très impressionnants tant ils empruntent aux classiques de l’Heroic Fantasy (on pense furieusement à la bataille du gouffre de Helm du "Seigneur des Anneaux") ainsi qu’aux grandes fresques chinoises ("Les Trois Royaumes" de John Woo en première ligne). Entre les volées d’innombrables flèches, les catapultes déchaînant un orage de feu, les attaques acrobatiques de l’escouade bleue, les cisailles géantes à même la pierre, on ne peut pas dire qu’on soit lésé en matière d’épique !! Non, si on cherche des défauts au film, c’est ailleurs qu’il faut chercher : le scénario est réellement simple et pas trop recherché (il va même jusqu’à nous servir un cliché vieux comme le monde : celui
du jeune soldat peureux qui fera preuve d’un courage exceptionnel lors du dernier acte
)…en même temps, vu le sujet, on ne pouvait pas non plus avoir un récit énorme avec une multitude de rebondissements : il s’agit tout de même d’un film de guerre, certes fantastique, mais de guerre avant tout ! Pourtant, il y a tout de même Edward Zwick (réalisateur de "Légendes d'Automne", "Glory", "Les Insurgés", "Le Dernier Samourai", "Blood Diamond" et "Le Prodige") et Tony Gilroy (scénariste de "L'Associé du Diable", "L'Echange", la saga Jason Bourne et "Rogue One : A Star Wars Story") qui ont bossé sur le scénar…étonnant n’est-ce pas ? Au niveau des effets spéciaux, c’est presque incompréhensible (pour ne pas dire honteux) qu’ils soient si irréguliers : le superbe côtoie le moche d’une scène à l’autre, il va falloir un jour que les producteurs comprennent que multiplier les participations de divers studios d’effets spéciaux pour faire des économies est une idée stupide qui finit toujours par un résultat désastreux à l’écran ! Le meilleur exemple demeure les Tao Tei : autant les monstres sont assez impressionnants de près ; autant lorsqu’on nous les présente en plan large en plein assaut, on ne voit qu’une infâme masse de CGI qui rappelle les horribles hordes de zombis de "World War Z" ! Finalement, le vrai point négatif demeure la direction d’acteurs plutôt faible : si Matt Damon en mode « minimum syndical » fait à peu près le job en donnant la réplique à la magnifique beauté froide asiatique Jing Tian (une sérieuse candidate pour la belle Zhang Ziyi !), on ne peut pas dire que les autres s’en sortent bien : aucun acteur chinois ne ressort vraiment du lot même si Andy Lau est le moins cathartique de tous, mais la palme revient à Pedro Pascal qui est totalement à côté de la plaque (il était bien meilleur en Oberyn Martell dans "Game of Thrones"). Je ne m’attarderais pas sur la « participation » quasi anecdotique de Willem Dafoe qui doit encore se demander pourquoi on l’a fait venir sur le tournage (la plupart de ses scènes auraient-elles été supprimées au montage ??). On va tout de même finir sur une bonne note : le score de Ramin Djawadi est très bon, nous proposant un travail aussi épuré et épique que celui qu’il a l’habitude de produire pour "Game of Thrones" tout en y ajoutant des sonorités typiquement asiatiques. Bref, pour une première grosse coproduction sino-américaine, le résultat est plutôt potable (les financiers ont laissé plus de liberté à Yimou qu’on aurait pu le penser : ça aurait pu être tellement pire !!) : l’histoire est simple mais se regarde sans problème et le film nous propose des images superbes et des moments d’anthologie (et aussi la frimousse toute kawaï de Jing Tian !). Premier bon film pop-corn de l’année, "La Grande Muraille" est un choix parfait pour passer un pur moment de divertissement…et puis c’est sacrément moins chiant que "The Assassin" !!