S'attaquer au roman de Boris Vian était un pari risqué tant les inventivités, à la fois linguistiques, mécaniques et visuelles de l'auteur semblent peu disposées à se laisser figer sur pellicule. Seulement ce n'est pas à n'importe qui que l'imposante tache a été confiée mais à un autre bricoleur, d'images celui-ci. Et Gondry n'a pas chômé pour tenter de nous transcrire cet univers magique dans son style bien personnel d'assemblages en carton-pâte, version évoluée de nos livres d'enfants qui ne demandaient qu'à s'animer lorsqu'on venait titiller une de leurs nombreuses languettes.
Pari réussi donc ? Et bien non. Car si le réalisateur s'est attelé avec sérieux à la tâche, le résultat projeté à l'écran n'en reste pas moins sa vision de l’œuvre. C'est bien là toute la limite de l'exercice : les textes de Vian, plus que tout autres, sont un moteur pour l'imaginaire du lecteur, le guidant, certes, dans la construction de l'univers qu'ils décrivent, mais lui laissant une marge suffisante pour y projeter ses interprétations et fantaisies. Une liberté interdite au cinéma où, dans le cas présent, les images ne font que dérober et anéantir l'imaginaire du spectateur. Dès lors, les mécanismes mis en place par Gondry peinent à transcender leur formes primaire et ne restent sur l'écran que comme des bidouillages de colle et de papier.
Mais c'est sur le fond, plus que la forme, que le réalisateur échoue totalement. Les personnages du roman de Vian, à l'aube de leur vingtaine, prennent ici corps sous les traits d'acteurs ayant pour la plupart largement dépassés la trentaine, difficile, dans ces conditions, de ressentir la fraîcheur insufflée par le roman. Le pire étant le couple Duris/Tatou qui restera comme un des plus froid du cinéma et pour lequel on n'éprouvera à aucun moment du film une quelconque empathie, ou comment saborder une histoire d'amour tragique. Difficile de croire qu'il y a presque 10 ans, le même Gondry nous offrait, dans un registre similaire, le merveilleux et poétique The Eternal Sunshine of the Spotless Mind.