Boris Vian est décédé un soir de 1959 en assistant à la projection de l'adaptation cinématographique (non souhaitée par l'auteur) de "J'Irai Cracher sur vos Tombes". Si par hasard son fantôme a eu la désastreuse idée, cinquante et quelques années plus tard, d'aller hanter une salle de ciné diffusant "L'Ecume des Jours", libre adaptation de son roman le plus célèbre (célèbre parce que l'un des seuls de sa courte et iconoclaste carrière littéraire à être labellisé "Education Nationale"), je me demande s'il n'est pas mort une deuxième fois ! J'aime beaucoup Michel Gondry mais là, on est obligé de constater que son univers visuel (trop) riche et (très) kitsch a complètement noyé son histoire et ses personnages. Son casting à la Jeunet a beaucoup, beaucoup de mal à exister : Colin/Duris s'agite dans tous les sens en brassant beaucoup d'air pour pas grand chose, Audrey Tautou est une Chloé totalement insipide, miscast complet, Gad Elmaleh et Charlotte Lebon sont aux abonnés absents, seuls Omar Sy et la sublime AÏssa Maïga s'en tirent pas trop mal, à la limite... On se demande presque à un moment, tellement sa place dans l'intrigue est importante, si le personnage principal du film n'est pas la souris (Sacha Bourdo), personnage horripilant qui ressemble un peu au rongeur débile qui apparaît en bas de case dans la série des "Gai-Luron" de Gotlib et qu'on espère très vite voir se prendre des coups dans la gueule à l'instar de son double de bédé. Hélas, il n'en sera rien, on ne la verra même pas se faire bouffer par un chat comme à la fin du bouquin. Mais l'attention portée sur ce personnage anecdotique et purement visuel en dit long sur les intentions (conscientes ou inconscientes) de Gondry : par une surenchère systématique et insupportable de fantaisie forcée, il passe l'œuvre de Vian à l'arrache-cœur. A ce niveau là, ce n'est plus de la poésie, c'est du travail à la chaîne. Et c'est un peu con parce que le travail à la chaîne et l'industrialisation à outrance, c'est tout ce que Vian critiquait dans son ouvrage ! Bon, dans les scènes se déroulant à l'usine, Gondry arrive quand même à faire passer ce message, quelque part entre "Brazil" et "Les Temps modernes", mais pour le reste... La critique de la religion et de l'Eglise, par exemple, devient sous l'œil de Gondry une pastille fantaisiste et amusante parmi tant d'autres. A la limite, tout ça, c'est du détail et ces quelques ratés n'auraient pas été très graves si Michel Gondry n'était pas en plus passé complètement à côté du thème principal de "L'Ecume des Jours"/livre : l'amour. Dans "L'Ecume des Jours"/film, ce sentiment n'arrive jamais à prendre chair et devant ce spectacle désolant et désincarné, on ne ressent rien, pas la moindre petite émotion : pas de joie, pas de mélancolie, pas de bonheur, pas de tristesse... pas trop d'ennui, même ! On sous-estime trop souvent le pouvoir anesthésiant de la répétition ad nauseam d'effets visuels... Un grand film raté.