Adapter un classique est toujours une entreprise risquée tant les attentes et les exigences du public sont grandes. En effet, les critiques se feront d’autant plus acerbes et déchaînées compte tenu de la renommée de l’œuvre en question. C’est une règle immuable : il faut tourner en ridicule sans pitié aucune toute adaptation qui ne remplirait pas les expectatives du public. Avec « L’écume des jours », Michel Gondry a tenté de relever un pari très audacieux. Un peu trop audacieux même. Son adaptation de « L’écume des jours » (réputé pourtant roman inadaptable) n’a pas été pour lui un franc succès comme l’en attestent les nombreux avis très divergents. Les membres de la presse à l’image des spectateurs se sont lancés dans un débat où les opinions sont loin d’être unanimes. Ainsi, les uns louent la créativité et la minutie artistique de Gondry tandis que d’autres déplorent son travail jugé trop « scolaire » et s’en prennent à lui en l’accusant d’avoir massacré la plus belle œuvre de Boris Vian en la réduisant à un marasme d’effets spéciaux mal enchaînés.
Tout d’abord, notons que l’adaptation cinématographique du chef-d’œuvre intemporel de Vian est restée très fidèle tant dans son contenu que dans l’élaboration de son intrigue. Hormis quelques infimes changements et modifications découlant d’une quête de reconnaissance identitaire et artistique comme le réarrangement de certaines scènes ou l’originalité du scénario recherchée par le réalisateur, le film retrace très fidèlement le courant ainsi que le fond de l’histoire ne personne ayant lu le roman peut ainsi aisément suivre la trame et effectuer des parallèles avec le roman. Toutefois, cela s’avère beaucoup plus ardu pour quelqu’un qui ne connait l’œuvre que de manière superficielle. Cette difficulté de compréhension que pourrait ressentir un néophyte est intrinsèque à la pauvreté des dialogues et au jeu des acteurs. En effet, malgré un casting prestigieux et tape-à-l’œil, la sauce ne parvient pas à prendre. Omar Sy n’est pas du tout crédible dans le rôle de Nicolas et n’arrive pas à interpréter le rôle du cuisiner guindé, pompeux mais néanmoins attachant sans s’emmêler les pinceaux. Il ne parvient pas non plus à rester professionnel et sérieux lors des moments dramatiques comme la mort de Chloé. Personnellement, tout au long du film, je m’attendais à le voir éclater de rire. Presque le même constat peut s’appliquer à Gad El Maleh bien que celui-ci ait mieux compris les ficelles de la personnalité de son personnage. Ainsi, Gad arrive, après maints efforts, à crédibiliser son personnage notamment en s’aidant de son physique « intello » qui ressemble singulièrement à celui de Chick ainsi que de son humour décalé que ce dernier et lui partagent. Je dois reconnaître qu’il s’en est assez bien tiré de côté-là car il a apporté au film une fraîcheur bien sympathique qui a relativement détendu l’atmosphère.
Ce qui frappe également d’emblée le spectateur est l’univers fantastique et éthéré dans lequel les personnages du film évoluent et qui somme toute concorde parfaitement avec la perception du monde qu’entretenait Boris Vian avec son œuvre. A mon sens, l’abondance d’effets spéciaux très kitsch, colorés et vintage (en particulier la scène du bigglemoi) a énormément permis cette similitude, ce rapprochement artistique. De plus, cette pléthore d’effets spéciaux a fortement contribué à émerveiller le spectateur et à lui faire accepter inconsciemment un univers où l’irréalité et l’illogisme sont des normes à adopter. Parfois, le spectateur peut se sentir confus car l’univers de Vian semble être celui du réalisateur. Cette confusion subtilement instaurée dans les esprits a été permise grâce au travail acharné et sans relâche de Gondry qui a farouchement veillé à respecter les volontés de Vian, à savoir faire entrer le spectateur dans un univers étrange, déconcertant, d’une beauté onirique. Gondry a parfaitement réussi son objectif. Les touches personnelles qu’il a apportées n’ont rien enlevé à cela.
Ensuite, une différence notable est a relevé à savoir l’âge des protagonistes. En effet, ces derniers sont beaucoup plus âgés dans le film ; le fait qu’ils soient plus mûrs annihile l’esprit bon enfant flottant dans le livre. Le spectateur n’arrive pas à retrouver cette dimension chez Gondry. Cela est dommage car l’authenticité du film ainsi que sa crédibilité artistique se retrouvent fortement entachées.
Ensuite, une différence notable par rapport au livre est à relever à savoir l’âge des protagonistes. Ces derniers sont bien plus âgés dans le film ; ils ont tous à peu près la trentaine alors que ce sont des jeunots de vingt ans dans le livre. Cette différence d’âge annihile l’esprit bon enfant du film et confère à certains passages du film une obscurité cauchemardesque (la scène où Colin s’enterre dans la terre ainsi que celle où Chloé meurt illustrent bien cette recherche d’esthétisme macabre). La maladie de Chloé dans le livre est vécue dans le livre comme une épreuve douloureuse mais douce car l’atrocité de la maladie est contrebalancée par l’amour juvénile des deux héros. Dans le film, la maladie de Chloé est perçue comme un cauchemar vivant et cette perception attriste extrêmement le déroulement de la fin du film. Le côté sombre de l’adaptation se ressent aussi lorsque Alise, la fiancée de Chick, tue Partre et se donne la mort. De plus, Gondry a sciemment omis de représenter la superficialité des relations amoureuses entre les protagonistes. En effet, dans le roman, Colin est d’abord attiré par Alise puis par Chloé. Ce n’est qu’après s’être rendu compte qu’il ne pourra jamais obtenir l’amour d’Alise qu’il se tourne vers Chloé. Ce cheminement sentimental typique chez les adolescents et les jeunes adultes ne se retrouve pas chez Gondry qui décide dès les premiers abords de rendre Colin fou de Chloé comme pour souligner la maturité de leur relation. Cependant, cette omission peut perturber une personne n’ayant pas lu le livre. Ainsi, la scène où Colin fait l’amour avec Alise ne peut paraître « compréhensible » si le spectateur néophyte se réfère à la vision de Gondry. Enfin, ce que l’on retient lorsque l’on sort de la salle est que le film est beaucoup plus sombre, plus dur, plus « adulte » que le roman.
En conclusion, je dirai que j’ai assez apprécié le film notamment grâce à l’interprétation de Roman Duris qui à mon sens a très bien compris la psychologie du personnage-phare de Boris Vian. Cependant, Audrey Tautou m’a énormément déçue. Tout au long du film, j’ai eu une désagréable impression de déjà-vu. En effet, elle se contente d’interpréter une seconde Amélie Poulain sans grande conviction ou recherche de dépassement de soi artistique. Enfin, pour clore cette critique, je conseille vivement d’aller voir cette adaptation un peu particulière afin de se forger une opinion personnelle sans toutefois s’attendre à un grand chef-d’œuvre au risque d’être déçue.