Les histoires d'amour finissent mal, en général. Celle, magnifique, de Boris Vian, ne déroge pas à cette triste règle. L'écume des jours parle d'amour, comme aucun roman n'a parlé d'amour. L'écume des jours parle de désespoir, comme aucune oeuvre n'a parlé de désespoir. L'écume des jours est considéré comme un livre inadaptable, mais comme Michel Gondry est le cinéaste français le plus inventif, c'était pour lui chose facile.
Comment rendre compte de l'univers si singulier de Vian ? Comment réussir à faire parler ces personnages hors du commun sans obtenir un résultat faux ? Demandez à Gondry, il saura quoi vous répondre. En plus de réussir à retranscrire l'ambiance du roman (ce qui est déjà un miracle), le cinéaste arrive à ajouter sa patte d'artiste aux milles idées. L'écume des jours sera un film atemporel, car les effets spéciaux utilisés sont mécanique et artisanal (magnifique stop motion). À l'image de l'appartement qui rétrécit et se dégrade, le cadre de l'image devient de moins en moins grand. Les couleurs présentes au départ laissent peu à peu la place à un noir et blanc terne, sans vie. Très intelligent.
Le jazz étant l'un des principaux personnages du roman, il fallait que le réalisateur rende hommage à la musique favorite de Vian. C'est chose faite grâce à une bande originale allant de pair avec le rythme du récit. Pour montrer le monde désincarné du travail, Gondry filme des gens taper à la machine, en train d'écrire le roman de Vian. Comme si le film se construisait au fur et à mesure que le livre progressait. Nous allons vivre exactement la même sensation : alors qu'un grand sourire s'affiche sur notre visage dés le départ, celui-ci va, lentement mais sûrement, laisser place à une triste moue. Cette saleté de nénuphar grandit dans le poumon droit de la belle Chloé, tandis que notre moral lui, ne fait que baisser. Superbe idée et grand tour de force
Rien ne serait possible, ni crédible, sans des interprètes à la hauteur de ce projet plus qu'ambitieux. Mais le choix du casting est tout simplement parfait, même si l'on peut peut-être reprocher à Omar Sy d'être trop joyeux et avenant, comparé au Nicolas du roman plus distant. La palme revient à Duris, qui joue l'un de ses plus beaux rôles au cinéma. Tautou lui rend parfaitement bien la réplique en incarnant une Chloé douce, mais avec plus de caractère que celle de Vian. Les mauvaises langues diront qu'il est facile de transposer ces personnages à l'écran puisque ceux de l'auteur sont, à la base, assez transparents et peu détaillés. Mais il faut avoir un grand talent pour conjuguer des qualités comme la justesse, l'inventivité ou l''émotion. Et enfin, quel plaisir de découvrir qui incarne tel ou tel personnage, car Gondry nous offre de très belles surprises. Jubilatoire.
Le cinéaste arrive à rendre à l'écrivain ses lettres de noblesse. Car pour les lecteurs qui ne seraient pas rentrés à certains moments dans cet univers si singulier, Gondry est là pour éclaircir leur imagination. Boris Vian, on l'espère de tout coeur, aurait été fier de cette adaptation, qui soit dit en passant, est l'un des plus beaux films français de 2013.