Comme récemment pour "L'Homme aux Poings de Fer" voire plus anciennement pour "Le grand Tournoi", on ne peut certainement pas mettre en doute la dévotion au genre des auteurs pour "Man of Tai Chi". Et rien que pour ça, le premier film de Keanu Reeves en tant que réalisateur mérite un coup de chapeau. Alors que le film de RZA croulait sous les références aux chefs-d'œuvre de la Shaw Brothers ("La Main de Fer", "La Légende du Lac"...) et que celui de JCVD s'apparentait plutôt aux productions 70s/80s plus occidentalisées ("Opération Dragon", au hasard), "Man of Tai Chi" mixe ici le récit initiatique dans le style de "La 36ème Chambre de Shaolin" avec le polar hong-kongais des années 80/90 (John Woo, Kirk Wong, Ringo Lam et compagnie). Bon, comme pour ses petits camarades, malheureusement, la réalisation et, surtout, le scénario ne sont pas vraiment à la hauteur de leurs nobles et glorieux modèles. L'intrigue policière, pour ne parler que d'elle, est assez indigente et si on y prend un peu de plaisir, c'est uniquement parce qu'on y retrouve Karen Mok et ce bon vieux Simon Yam, pas loin d'être les deux meilleurs acteurs du film. Parce qu'à côté d'eux... Tiger Hu Chen a beau être (assez) crédible en jeune homme malgré ses 38 ans et (très) crédible en artiste martial puisqu'il assiste Yuen Woo-Ping dans ses chorégraphies depuis 15 ans, il l'est beaucoup moins, crédible, en acteur dramatique. Ye Qing qui incarne sa petite amie est aussi charmante que nullissime et l'interprétation de Keanu Reeves en méchant aurait pu gagner en qualité avec un peu plus de second degré. Il y a longtemps que je ne l'avais pas vu jouer, le gars, et dans mon souvenir il était bien meilleur... Le film tire aussi en longueur et a bien du mal à atteindre une fin convenable, entre promesse non tenue de combat spectaculaire (putain, ça sert à quoi d'embaucher un type comme Iko Uwais si c'est le regarder courir et sauter dans le vide en faisant des moulinets avec les bras ?), confrontation finale anti-climax et décevante (Néo et sa doublure, raides comme s'ils avaient un balai dans le cul, boss de fin absolument pas convaincant) et afterword franchement gnangnan. Pourtant, malgré tous ces défauts, "Man of Tai Chi" reste une œuvre finalement assez plaisante grâce à une première partie d'exposition et de développement de l'histoire assez réussie et grâce surtout à l'évidente sincérité qui se dégage de l'entreprise. Pas étrangers non plus à cette (relative) réussite, les thèmes du dédoublement et du ying et du yang présents à tous les niveaux : Keanu Reeves est à la fois devant et derrière la caméra, son héros est tiraillé entre modestie et soif de reconnaissance, tradition et modernité, ascétisme et appât du gain... et le film est une coproduction sino-américaine (pas forcément les meilleurs potes du monde) qui étale un aspect bling-bling et nouveau riche (défilé de grosses bagnoles avec les marques bien en évidence, etc) à côté de vieilles ficelles (au sens propre, les filins utilisés pendant les combats) et d'effets spéciaux d'une rare pauvreté (la scène de l'accident de voiture de la fliquette). Un film plutôt destiné aux nostalgiques de séries B de kung fu old school (j'en suis) qui, s'ils ne sont pas trop exigeants, ressortent de la séance assez satisfaits.