Après un premier épisode triomphal, au moins commercialement parlant, c'est peu dire que le studio Lion's Gate avait poussé sur l'accélérateur, pour sortir au plus vite une suite afin de garder captive une clientèle ado-jeunes adultes qui risqueraient d'aller voir ailleurs. Une précipitation qui a même entraîné le départ du réalisateur (sans que personne ne pousse des hauts cris d'ailleurs
Pour le remplacer au pied levé, la production a rappelé un vieux routier de l'alimentaire, un dénommé Francis Lawrence, dont la filmographie tient plus du casier judiciaire que du Curriculum Vitae (l'affreux "Constantine", le déprimant "De l'eau pour des éléphants" et le massacre de "I am a Legend"), en lui confiant un bébé qui a gagné considérablement de valeur ces derniers mois avec l'oscar de son actrice principale, désormais star incontournable à Hollywood après "Happiness Therapy"
Un studio pressé, un réalisateur manchot, un star system envahissant, tout était réuni pour qu'"Hunger Games" rejoigne la saga Twilight et ses potes au rayon des consternantes adaptations adulescentes. D'où une certaine surprise devant le résultat, blockbuster pas très fin mais solide et globalement très bien troussé. Après le crash en plein vol de Twilight et la fin d'Harry Potter, il pourrait bien être un des seuls gagnants de la mode de la franchise ado fantastique, les pâles photocopies envoyés sans interruption sur les écrans depuis deux ans s'étant lamentablement écroulés une par une (vous vous rappelez des "Ames Vagabondes" ? Moi non plus), et Marvel s'essoufflant artistiquement dans ses livraisons de cette année.
Car il y a définitivement de la matière dans cette histoire de jeux et districts. Après leur victoire, Katniss et Peeta doivent repartir en tournée alors que la révolte gronde contre le capitole. Mais comment encourager l'insurrection sans se mettre en danger, et en protégeant leurs proches ? Sans compter que la comédie amoureuse qu'ils jouent à l'écran devient pénible pour eux, et pas très crédible pour certains.
Le roman semble naturellement calibré pour le cinéma, et pousse tout le monde vers le haut.
Noir et pessimiste, cette histoire d'une révolution brasse suffisamment de thèmes historiquement très porteurs pour que le spectacle un peu artificiel de la capitale passe complètement au second plan. Du pain et des jeux, on en est toujours là au XXIème siècle. Pendant que la masse laborieuse se tue à la tâche dans les districts, la classe dirigeante se goinfre honteusement et orchestre une communication millimétrée pour garder chacun sous contrôle. La télévision comme outil de contrôle des masses, l'utilisation de l'image pour la manipulation collective, et la starification d'adolescents à des fins mercantiles, on rentre alors dans un film à thèse, gentiment subversif et toujours hyper cynique, bien aidé en cela par la froide distance que garde Jennifer Lawrence pendant la première heure du film.
En évoluant dans un jeu de politique et de communication, les héros se trouvent alors confrontés à l'importance des symboles et du meneur, qui suffisent pour allumer l'étincelle qui embrasera tout le pays. Un vrai petit cours accéléré de révolution prolétarienne qui arrivera directement dans les foyers américains. Impossible de ne pas penser a la télé-réalité devant ses candidats qui pètent un plomb en direct, hurlant leur haine contre un système qui les a piégés.
Le trait est gros, l'image un peu trop clinquante, mais on ne va pas demander à Francis Lawrence de se transformer en Paul Verhoeven. D'autant que derrière le thème traité, le reste suit parfaitement. Avec un métier qu'on ne lui connaissait pas, le réalisateur emballe très proprement ses deux heures et demie, slalomant intelligemment entre les intrigues amoureuses et politiques, avec des seconds rôles très réussis (et qui servent enfin à quelque chose), dont un Woody Harrelson vraiment percutant. Et comme Jennifer Lawrence serait passionnante à regarder en récitant l'annuaire biélorusse, le film gagne encore en constance et en densité.
Et puis comme il faut bien rentrer dans l'arène, nous y voici. On pourra regretter qu'une fois entrés, le mystère et l'ambigüité s'évanouissent un peu vite et que la sauvagerie promise passe une fois de plus a la trappe.
Mais on s'emmerde nettement moins que dans le premier, et le combat contre la nature donne lieu à de très belles scènes, malgré des ressorts narratifs un peu trop faciles (l'éclair, le brouillard) qui auraient mérité un traitement un peu plus intelligent. On touche à ce moment les limites d'une équipe qui aura surfé jusqu'ici sur la qualité d'un bouquin.
Les quelques twists finaux seront alors les bienvenus pour redonner un peu de relief à l'ensemble...et nous pousser a revenir quand même la prochaine fois.
Le jeu est fini, définitivement. Place à la guerre, à une lutte des classes qui s'annonce sanglante et brutale.
Après District 9 et le Transperceneige, Hollywood semble décidemment prendre un malin plaisir à vouloir renverser la table... on ne va pas s'en plaindre.