Certains projets vous attirent dès les premières lignes de synopsis. Ces lignes ne vous lâchent pas jusqu’à la première bande-annonce dévoilée. Cette compilation des meilleurs moments vous fait rêver, penser, vous obsède inexorablement. Vous commencez à la connaître par cœur. Quand vous découvrez l’œuvre pour la première fois, vous avez peur d’être déçu. Sauf qu’en fait il se trouve que le film est aussi bien, voire même bien meilleur que ce à quoi vous vous attendiez. Globalement, mon parcours concernant le film « The Double » a ressemblé à ça. Sauf que le film me faisait tellement envie que je me suis entre-temps rabattue sur « Submarine », la précédente réalisation du talentueux Richard Ayoade. Il faut le dire, les années qui passent réussissent plutôt bien à l’acteur anglais reconverti. « The Double » est bien plus réussi que l’était son aîné. Drôle, mais aussi complexe et torturé par moment, le film détonne parmi tant de blockbusters stéréotypés. Le héros –ou plutôt antihéros- est dans l’incapacité d’agir comme un héros de fiction digne de ce nom. Simon est en effet le garçon aux costumes trop grands pour lui, spectateur de sa propre vie, soumis aux volontés des autres plus qu’à ses propres ambitions. L’arrivée de James dans sa vie sera source de chamboulements, et non d’une profonde remise en question. Le propos est assez ambigu dans « The Double », et Jesse Eisenberg l’interprète parfaitement. L’acteur livre un parfait double jeu. Il est Simon, mal à l’aise avec son corps, ne sachant jamais vraiment quoi faire de ses mains, et articulant avec grande peine ses mots. Il est aussi James, sûr de lui, charmeur et manipulateur. Le spectateur n’a jamais le temps de douter sur l’identité qu’il endosse, puisque tout, de son regard jusqu’à son langage corporel en passant par ses mots, est marqué. James est l’exact opposé de Simon tout en étant identique. C’est ce caractère similaire entre les deux personnages qui provoque l’ambiguïté. Qui est donc James ? Pourquoi réussit-il partout là où Simon échoue ? À un moment, Simon se confesse : "It’s like I’m permanently outside of myself". Une réplique lourde de sens, trahissant à la fois le mal être du protagoniste, tout comme l’étrange lien l’unissant au nouveau venu James. Comme je l’ai dit plus haut, Jesse Eisenberg est grandiose. Il porte le film sur ses épaules. Mais ce n’est pas pour autant que les seconds rôles sont en reste. Mia Wasikowska rayonne. Il est agréable de voir son joli sourire et son visage épanoui, à mille lieues de son rôle dans « Stoker ». Elle colle à l’ambiance décalée et est assez amusante, notamment lors de la scène où elle raconte comment son voisin faisait une fixation sur elle. Pour accompagner les deux nouveaux venus, Richard Ayoade s’entoure d’acteurs avec qui il a déjà travaillé sur « Submarine ». Noah Taylor, Paddy Constantine, Yasmin Page, Sally Hawkins et l’excellent Craig Roberts. Cinq acteurs talentueux que j’espère revoir partager des scènes dans la prochaine réalisation d’Ayoade ! En plus du jeu des acteurs, un des points communs unissant les deux œuvres est l’humour léger et omniprésent. Les dialogues sont délicieusement absurdes et provoquent le rire du fait de leur incongruité. Les mouvements sont hachés, les répliques déplacées, cela apporte au film un ton surréaliste, confirmé par les choix techniques. Les thèmes musicaux composés par Andrew Hewitt sont étonnants : des compositions oppressantes où le violon et le piano sont omniprésents et des morceaux plus abstraits comme le thème de Mr. Papadopoulos, côtoient de vieux morceaux japonais qui respirent la joie de vivre. Une chose est sûre, les compositions de Mr. Hewitt sont immersives et contribuent pleinement à l’implication du spectateur dans l’intrigue. Autre élément technique remarquable, la photographie magnifique, ce jaune étouffant qui entoure Simon lorsqu’il se trouve dans son bureau. Tout comme les musiques, les couleurs rythmant la vie du héros permettent de glisser plus aisément dans son triste univers. On ne pourra de plus que savourer le jeu des lumières, éclairant les acteurs et les décors comme au théâtre, plaçant ainsi une invisible barrière entre eux et nous. Cette froideur, cette distance placée volontairement est accentuée par les décors. Impersonnels, basiques et intemporels, ceux-ci sont dans l’incapacité de nous permettre de situer le lieu et l’époque à laquelle se situe l’intrigue. Une chose est sûre, nous vivons dans un monde qui n’a rien à voir avec celui dans lequel évolue Simon. C’est sur ce point précis que la comparaison avec le « Brazil » de Terry Gilliam est la plus justifiée.