Curieux long métrage que cette relecture d’un écrit du célèbre dramaturge russe Fiodor Dostoïevski. Mélange des genres, cinéma expérimental à mettre au profit de Richard Ayoade, metteur en scène britannique, auteur d’une passablement récente comédie, Submarine, qui ici tente le difficile pari de mettre en scène une curieuse recette. Quelque part entre le cinéma expérimental, comme dis plus haut, et les œuvres majeures du cinéma d’anticipation, ici très rétrograde, le réalisateur tente de concilier toutes ses nombreuses inspirations pour insuffler un minimum de lisibilité à son œuvre, il faut le dire, relativement confuse. Aux bonnes idées s’ajoutent dès lors un monceau de de bévues narratives, véritable défaut d’un film à pourtant fort potentiel artistique. C’est bien vers l’art, en effet, que tente de s’orienter le metteur en scène, avec nettement moins de réussite que certains de ses confrères, notamment Jonathan Glazer et son Under the Skin.
A créditer au mérite du réalisateur, on pourra tout de même souligner que son film démontre une véritable conscience imaginaire. Parfois assimilable à l’œuvre phare de Terry Gilliam, Brazil, The Double s’inspire aussi, en sourdine, d’un certain totalitarisme à la mode soviétique. Intemporel et géographique difficile à situer, voire impossible, l’univers décrit ici nous rappelle sans trop de difficulté les dispositions du socialisme exacerbé qui aura régit des années durant le marché du travail au sein de l’empire bolchévique. Vous me direz, rien à voir. Mais tout de même. L’univers de The Double se construit sur le dos d’une bureaucratie rampante et institutionnelle qui propulse le patronat, l’autorité d’entreprise, au titre de dieu terrestre. Les personnages évoluent ici dans un monde ou la productivité de l’humain est la première des priorités. En parallèle de cet amusant postulat, le film démontre aussi une certaine inventivité lorsqu’il s’efforce à rendre cette bureaucratie rétrograde, la salle des photocopieuses l’atteste.
Autre qualité à porter au crédit de The Double, ses comédiens. Jesse Eisenberg, brillant ici quoi qu’il fasse, notamment aux travers de sa gestuelle interchangeable, illumine la production d’une présence captivante, comme ce fût le cas chez David Fincher. Autre atout, féminin celui-là, Mia Wasikowska. La jeune comédienne semble savoir y faire pour s’accommoder à toutes sortes de rôles, toujours en ambassadrice d’une certaine forme de charme juvénile subjuguant. The Double, comme son titre l’indique, mettra en scène une certaine forme de bipolarité, inutile de se le cacher. Parfois limpide, cette situation est pourtant souvent gâchée par une mise en scène trop aléatoire, peu tranchante. Du coup, l’acteur principal s’efforce à se surpasser pour se multiplier à l’écran mais le metteur en scène ne lui fait que peu honneur, préférant s’attarder sur sa comédienne, nettement mieux servie que son confrère masculin. Mais là n’est pas question de talent.
Drôle de film, donc, qui s’égare, qui illumine parfois de par des idées sympathiques et des décors austères mais captivants. Richard Ayoade marque quelques points tout en démontrent ses faiblesses en tant qu’artiste. Oui, l’art est sans doute un but visé par le réalisateur, d’avantage que le fait de réaliser un film en tant que tel. C’est difficile à cerner et le rythme pachydermique prétérite encore d’avantage l’appréciation d’un film dans le fond très nombriliste, voire orgueilleux. Beaucoup s’ennuieront alors que d’autres crieront au génie. Un film totalement dispensable malgré un très joli final. 09/20