The Double m'a aspiré dans son univers : morose et vain, mais pourtant rempli de mille couleurs énigmatiques, où chaque instant transpire l'angoisse impersonnelle et la volonté tubéreuse. Les personnages sont tous dégénérés (c'est Dostoïevksi..), et tous pris dans les rouages d'une société de travail écervelé et de protocoles aussi ridicule qu'oppresifs. Le monde semble se limiter à l'aliénante routine urbaine métro-boulot-dodo, et la chronologie suffoque, si bien que je me suis senti pris dans un réseau de fusibles kafkaïens, tout encrassé dans la poussière et les vapeurs graisseuses. L'image a une personnalité esthétique forte : le noir (la nuit ou les espaces clos), les jeux avec les multiples couleurs de lumière (il y a quelques points communs avec Jeunet, surtout pour Delicatessen), le décor (une ville avec des aspects rétro-futuristes : machines, téléphones...) le cadrage et les lignes fortes des décors et des mouvements, tout est ciselé pour ensorceler l'oeil. Le choix de la bande-son est habile, en particulier celui des bruits ambiants qui rajoute sans cesse à la pesanteur des scènes : vrombissements de train, cris diffus, grondements de machines et autres sons électroniques contribuent fortement à l'ambiance du film, outre les violons. Pour ce qui est du scénario, comme je n'ai pas lu le livre, je ne sais pas ce qu'il faut imputer à Dostoïevski ou non, mais je peux au moins dire que l'on s'éloigne subtilement des oeuvres portant sur les doubles/clones/doppelgangers (Black Swan, pour ce qui est des films récents). Ici, le plus plaisant est la façon dont débute la relation entre Simon et James ... et bien que le double cherche à supplanter l'original, ils gardent une relation particulière, intime,
car tous les autres les confondent, mais ne les comparent pas, et (à part Hannah) ne semblent jamais se rendre compte de leur identité.
Tout ça peut lancer bien des questionnements sur l'identité, la personnalité, les multiplicités, le regard des autres, etc ... Beaucoup de sujets sont effleurés, et l'on appréciera ou non que le film ne s'engage pas dans des pensées plus détaillées et laisse le spectateur faire comme bon lui semble ... On sent l'équipe du film nourrie d'influences diverses (Kafka, le symbolisme, Jeunet(?), Lynch (?), Orso Welles ...) et en grande recherche de façons de faire, ce qui peut paraître pénible à certains. Pour moi, cette recherche a été fructueuse, puisqu'en est né ce film vif et pénétrant.