Inutile de vous dire d'aller absolument voir Mud: le bouche à oreille a fait son effet. Dans ma petite salle de banlieue (pas si petite que ça d'ailleurs), mercredi 1 mai à la première séance, la salle était pleine. A la séance d'après, tout le monde n'a pas pu rentrer. La qualité paye, contrairement à ce qu'en pensent les petits messieurs de notre cinéma exception-culturelle français, qui continuent à nous proposer des Profs à St Tropez et des Sales gosses à Hazebrouk. Y a personne, mais ils s'en foutent, les aides publiques les font vivre.
Pour Mud, la profession critique s'est fendue de toutes sortes de flatteuses comparaisons. Pour le cinéma, Terence Mallick (dont le réalisateur a été l'assistant) -deux jeunes gens en cavale dans une nature majestueuse-; pour les personnages, Mark Twain évidemment; à Un monde parfait, encore, bref, rien que du bon... Moi j'ai beaucoup pensé aux Bêtes du Sud sauvage qui mettent en scène, de la même façon, ce qu'on pourrait appeler la civilisation-des-bords-du-fleuve. Des fauchés qui n'ont pas de terre et se construisent leur paradis amarré à la rive. On retrouve ces incroyables habitations hétéroclites, morceaux de caravanes, pontons.... Ici plutôt coquettement meublées! Et ici, les autorités les tolérent, tant qu'elles sont habitées. Mais, des qu'elles sont désertées, c'est la destruction. Pour des gamins, qui vont où ils veulent à bord d'une petite barque, c'est le royaume de la liberté, auquel ils ne renonceraient pour rien au monde. Ces gens là ne conçoivent pas d'autre vie. Imaginez les, en France, ils courraient les plateaux de télé accompagnés de militants du droit-à-ci-droit-à-ça, puisque chez nous tout le monde a des droits et jamais de devoirs, exigeant dêtre relogés correctement. Il y a vraiment des positions inconciliables entre nous et nos amis d'outre-Atlantique.... Le Mississipi est donc un acteur à part entière, dont je n'imaginais pas qu'il puisse déja être aussi énorme, énorme comme le Mékong, à cent (ou plus) kilomètres de son embouchure.
Le jeune Jeff Nichols, c'est l'auteur du formidable Take Shelter, et là, c'est sûr: c'est la découverte d'un futur et déja très grand du cinéma US.
Donc, deux gamins de quatorze ans laissés, il faut bien le dire, pas mal à eux même. Neckbone (Jacob Lofland) est orphelin. Il vit avec un oncle, lui même passablement zozo, qui va chercher, dans les fonds boueux de la rivière, les huîtres d'eau douce qui peuvent contenir de grosses perles irrégulières, équipé d'un scaphandre lesté dont le modèle a été inventé au Moyen Age (Michael Shannon, le héros de Take Shelter, justement). Neckbone est un suiveur. Il admire passionnément son copain Ellis. Il n'est pas souvent d'accord avec les initiatives de celui ci, mais toujours, il finit par trotter derrière. Avec Ellis (Tye Sheridan), Jeff Nichols nous donne un magnifique portrait d'ado. Ellis est épatant. Courageux, aventureux -on peut même dire chevaleresque (chevalier blanc, il se ramasse pas mal de marrons....)-, il croit très fort à l'amour. Il est lui même amoureux d'une copine, une grande de seize ans! et surtout, il voit que se parents sont sur le point de se séparer, ce qui le trouble beaucoup. Son père, un peu brut de décoffrage, un peu rustre, appartient complètement à la civilisation-des-bords-du-fleuve; d'ailleurs, que saurait il faire d'autre que vendre du poisson? Et sa mère (Sarah Paulson) pense qu'elle mérite une vie meilleure, dans d'autres conditions, et veut s'installer en ville. Avec Ellis, bien sû aime également ses deux parents et ne veut pas choisir -mais, en tous cas, pas quitter le Mississipi.
Ellis et Neckbone ont repéré, dans une île (une grand île, d'ailleurs, assez grande pour être traversée par un ruisseau où grouillent les mocassins d'eau), un bateau dans un arbre, reste d'une crue antérieure (on imagine les crues...). Ils vont se l'approprier, en faire leur domaine secret, leur tanière! Malheureusement, quand ils viennent prendre possession de l'embarcation, ils constatent qu'elle est habitée. Par Mud, un fuyard qui a tué un homme. Le sublime Matthiew McConaughey arrive à être.... sublime, même couvert de crasse et le cheveu en sortie de bouillon. Il leur raconte son histoire: il a tué un homme pour défendre sa fiancée Juniper (Reese Witherspoon), brutalisée par un héritier qui, en lui filant des coups de pied dans le ventre, lui a enlevé toute chance d'avoir un jour des enfants. Il est poursuivi par les chasseurs de prime engagés par le père de l'héritier. Bien sûr, Mud est protégé puisqu'il a un oeil de loup cousu sur sa chemise, et deux clous en croix dans le talon de sa botte. Mais enfin, il faut l'aider en lui procurant tout le matériel nécessaire à retaper le bateau....
Le spectateur a tout de suite compris que Juliette a la cuisse légère, qu'elle est toujours prête à aller au lit avec celui qui lui paye un verre, et qu'elle n'a pas l'intention de fuir avec Mud; il a compris aussi que Roméo est un sacré affabulateur, et que ce qu'il narre aux enfants émerveillés peut être assez éloigné de la réalité. Mais aux yeux d'Ellis, c'est l'amour! Celui qui ne décoit pas, celui qui survit aux épreuves, et il s'engage à fond dans le sauvetage de Mud, fouillant les décharges, suivi comme une ombre par Neckbone, portant les messages à la belle...
Ajoutez à cela qu'il y a le cher Sam Sheppard dans le rôle d'un ancien tireur d'élite atrabilaire, qui a servi de père adoptif à Mud, mais désaprouve tout à fait son idylle.... Encore un qui vit sur le fleuve.
Il va y avoir bien des péripéties pendant ces deux heures qui passent comme une. C'est un film d'aventures -on peut le prendre comme cela, gendarmes et voleurs, hors la loi et chasseurs de prime. Et n'oubliez pas les sepents à la morsure mortelle.... Mais, c'est avant tout -un chef d'oeuvre, juste.... Poétique et vrai, sociologique et onirique, l'histoire du passage de l'adolescence, de l'apprentissage de la vie, la vraie, celle ou Roméo et Juliette finissent par se lancer des casseroles et des injures à la tête. Ellis s'en sortira, parce que c'est un petit garçon épatant.
C'est un film merveilleux. Qui a la grâce. Qui mériterait ses cinq étoiles, si ce n'est que la fin... est un peu facile. Mais bon. A voir plutôt deux fois qu'une!